Sylvie et Pascal sont les deux enfants de Janine décédée le 26 octobre 2007 à Morez (Jura), dans la succession de laquelle se trouvent des biens propres et des biens provenant de la communauté légale ayant existé entre elle et son mari René, prédécédé le 17 avril 1989.
Janine a été hospitalisée le 27 juillet 2007, après avoir été découverte à son domicile dans un état de santé préoccupant, en raison notamment d’une importante déshydratation et dénutrition associées à un manque général de soins corporels. Elle présentait par ailleurs un état de confusion mentale qui ne lui avait pas permis de solliciter de l’aide ni de mesurer l’état d’hygiène déplorable dans lequel se trouvait l’appartement où elle vivait, en compagnie de son fils Pascal. Elle est restée hospitalisée jusqu’à son décès, dans un état de faiblesse générale qui l’empêchait de se déplacer, et son très mauvais état dentaire nuisait à son alimentation. La patiente était décrite comme étant désorientée et mutique.
Après avoir été informée par le notaire que Pascal avait été désigné par leur mère comme légataire universel par testament en date du 21 avril 1995, Sylvie a fait assigner son frère en révocation du testament pour ingratitude, puis après la découverte d’une donation d’une somme de 30 000 euro qui aurait été faite par sa mère à son frère, elle a étendu sa demande à la donation précitée.
Pascal ayant été désigné par sa mère légataire universel par testament, la fille de la défunte l’a donc fait assigner en révocation du testament pour ingratitude, puis après la découverte d’une donation d’une somme d’argent qui aurait été consentie par sa mère.
L’appelante Sylvie a eu connaissance de l’état de sa mère dès qu’elle a été prévenue de l’admission à l’hôpital. Le décès étant survenu trois mois après cet événement, la fille est, en sa qualité d’héritière de la donatrice, autorisée à former une demande en révocation pour cause d’ingratitude des libéralités consenties par sa mère. Au jour du décès, elle ignorait l’existence du testament établi en avril 1995 par la défunte, au profit de son frère et n’en a été informée que par courrier notarié de mi-novembre 2007. Quant à la donation, elle n’aurait été découverte par l’appelante qu’en cours d’instance, soit en juin 2010, grâce à des informations obtenues de la caisse d’épargne. Dès lors, l’acte introductif d’instance ayant été délivré le 13 novembre 2008, soit dans un délai inférieur à un an, par rapport à la réception de la lettre du notaire envoyée à la fille, l’action est recevable.
Les circonstances dans lesquelles la donatrice a dû être hospitalisée caractérisent des manquements graves, l’expertise médicale établie ayant conclu à ce qu’une personne sensée vivant aux côtés de la donatrice devait se rendre compte de la gravité de son état et alerter les services médicaux. Aucune trace de violence physique n’a été relevée sur la patiente, de sorte qu’il n’est pas établi que le fils aurait malmené sa mère. Or, la lucidité et le sens des responsabilités de l’intimé étaient amoindris depuis longtemps, puisque déjà en 2002 il avait attiré l’attention des services sociaux en raison d’un mode de vie marginal. Sa pathologie a conduit à ce qu’il bénéficie depuis fin 2007 d’un régime de protection renouvelé en février 2014. L’intimé, connu pour son oisiveté et son incurie, a longtemps profité de l’assistance de sa mère, son état mental ne lui permettant pas de s’occuper correctement de lui. L’ingratitude suppose que l’auteur de celle -ci ait conscience du caractère grave des sévices, délits ou injures causés au donateur. Aussi, l’intimé ne peut être tenu pour responsable des manquements dont sa mère a souffert, dès lors que ses facultés mentales ne lui permettaient, ni de mesurer la dégradation progressive de l’état de santé de sa mère, ni de lui venir en aide d’une quelconque façon. Enfin, la mère n’a jamais exprimé de plainte vis à vis de son fils, alors que le comportement de sa fille, qui venait visiter sa mère chaque jour, a été décrit comme revendicatif et très agressif. Aussi, eu égard aux art. 1046 et 955 du Code civil, le fils n’a pas sciemment commis des sévices graves à l’encontre de sa mère ou l’a volontairement privée de soins ou délaissée, la demande de révocation du testament pour cause d’ingratitude devant être rejetée.
- Cour d’appel de Besancon, Chambre civile et commerciale 1, 28 juin 2016, Numéro de rôle : 15/00446