Par acte sous seing privé du 26 mars 2013, avec prise d’effet le 16 avril suivant, M. et Mme Y ont donné à bail à M. et Mme X un logement situé […] à Langueux moyennant un loyer mensuel de 850 EUR.
Par acte d’huissier du 15 octobre 2015, les bailleurs ont donné congé à leurs preneurs souhaitant reprendre le bien donné à bail à leur bénéfice.
Par acte d’huissier du 7 mars 2016, M. et Mme X ont fait assigner M. et Mme Y devant le Tribunal d’instance de Saint-Brieuc aux fins de voir constater que le congé pour reprise personnelle est nul et condamner les bailleurs à payer diverses sommes.
Par jugement du 21 août 2017, le tribunal d’instance de Saint-Brieuc a notamment validé le congé.
Appel a été relevé.
Le litige porte sur la validité du congé aux fins de reprise pour habiter qui a été délivré par les époux Y aux époux X par acte d’huissier du 15 octobre 2015 pour le 15 avril 2016 et le régime applicable au bail (soit les dispositions du code civil, soit les dispositions d’ordre public de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989, et plus particulièrement les dispositions de l’article 15-I dans sa rédaction actuelle), les locataires faisant valoir que le bien constitue leur résidence principale et non leur résidence secondaire.
Les bailleurs soutiennent le contraire. Ils font état d’un domicile pour les époux X situé à Nogent sur Marne.
Le premier juge a considéré que les époux X ne rapportaient pas la preuve que le bien était leur habitation ou résidence principale. Il a validé le congérejetant tout motif frauduleux, ordonné leur expulsion à défaut de départ volontaire ainsi que leur condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation égale au montant du dernier loyer à compter du 16 avril 2016 et jusqu’à la libération effective des lieux et la remise des clefs.
Il est constant que jusqu’à l’adoption de la loi Alur, l’habitation ou la résidence principale est une notion de fait ; qu’elle s’entend comme étant le lieu du principal établissement, le lieu où le locataire a fixé le centre de ses activités et intérêts familiaux, le lieu qu’il occupe de manière effective et continue ou régulière.
Il convient donc de rechercher si les critères susvisés sont remplis et si le logement loué par les époux X rentre ou non dans le champ d’application de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989 tel que défini par l’article 2 visant notamment les locaux à usage d’habitation principale, constituant depuis la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 la résidence principale du preneur, étant précisé que le contrat de location litigieux intitulé 'Bail de droit commun – articles 1708 à 1762 bis du Code Civil’ fait référence, s’agissant du congé pour reprise à l’article 15-1 de la loi susvisée sans toutefois la mentionner expressément.
Il résulte de l’examen des pièces produites par les parties dont celles des locataires, à qui incombe la charge de la preuve, qu’à la fin de l’année 2012, M. X a repris la direction de la société VERANDALINE HOLDING, SAS immatriculée au RCS de Saint-Brieuc sous le numéro 789 947 496 ayant son siège social et son site de production zone artisanale de Ker Joly – 22320 Le Haut-Corlay ; que son épouse est également salariée du groupe VERANDALINE ; que le financement de cette reprise par le Crédit Maritime Bretagne Normandie a été conditionné par l’installation du couple dans les Côtes d’Armor afin notamment que M. X s’implique dans la gestion des affaires, étant précisé que ce dernier est également le gérant de la société Kerbrat sise à Lanrivoaré (29290) ; que les époux X, qui résidaient à Nogent sur Marne, ont ainsi rejoint la Bretagne au mois de janvier 2013 ; qu’ils ont tout d’abord loué un gîte à Saint Martin des Prés près de Corlay ; qu’ils ont ensuite pris en location le logement dont s’agit par l’intermédiaire de l’agence Orpi sise à Saint-Brieuc ; qu’ils sont présents 'physiquement’ toute l’année dans l’entreprise (cf : attestation de M. R-S T, expert-comptable) ; que sauf déplacements professionnels, M. X se rend quotidiennement, y compris le samedi, au siège de son entreprise située à une trentaine de kilomètres de la maison qu’ils louent aux époux Y (cf : attestation de M. R-AA AB, maire du Haut- Corlay) ; que selon leur voisin immédiat, ils habitent 'à temps plein’ leur logement sis […] à Langueux (cf : attestation de M. J K) ; que ce témoignage est confirmé par M. L M, commissaire aux comptes de la SAS Scembe qui fait partie du groupe VERANDALINE ; qu’ils ont ouvert leur compte courant dans les livres du Crédit Maritime Bretagne Normandie, agence de Plérin ; qu’à l’adresse susvisée, ils reçoivent l’essentiel de leur courrier ; que même s’ils ont conservé leur logement situé à Nogent sur Marne, occupé à la semaine par leur fils et dans lequel ils se rendent un à deux week-ends par mois, il n’en demeure pas moins qu’ils ont fixé le centre de leurs activités et intérêts familiaux à Langueux, et que le bien pris à bail constitue leur principal établissement dans lequel ils habitent de manière effective et continue, peu important que le lieu de leur domiciliation fiscale et/ou électorale soit différent.
Il s’en suit que le contrat de location relève des dispositions d’ordre public de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989.
Il convient dès lors d’infirmer le jugement entrepris de ce chef.
Le bail ayant été signé le 26 mars 2013 et le congé ayant été donné le 15 octobre 2015, les parties ne s’accordent pas sur la version de l’article 15 applicable à l’espèce.
Selon les époux X, le congé est soumis aux dispositions de l’article 15 dans sa rédaction issue de la loi n°2014-366 du 24 mars 2014 et de la loi n°2015-990 du 6 août 2015.
Les époux Y soutiennent, quant à eux, que la rédaction nouvelle du texte ne leur est pas opposable et que le bail relève des dispositions antérieures à la loi Alur.
Il est exact qu’en vertu de l’article 14 de la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, les contrats de location en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi demeurent soumis aux dispositions qui leur étaient applicables, dont notamment l’article 15. Cependant, l’article 82 II 5e de la loi n°2015-990 du 6 août 2015 a modifié les dispositions transitoires de la loi Alur et a déclaré l’article 15 'dans sa rédaction résultant du présent article' applicable aux bauxen cours à la date de publication de la loi, soit le 7 août 2015. Contrairement à ce qui est soutenu par les époux Y, l’article 82 II 5e n’a pas limité les effets de la loi (Macron) aux seules modifications apportées par ladite loi à l’article 15 telles que précisées à l’article 82 I 5e et 6e. Le texte de l’article 15 est visé dans sa globalité, sans distinction des paragraphes I, II et III. En conséquence, la condition ajoutée par la loi Alur aux congés pour reprise s’applique à l’espèce.
De surcroît, en vertu des dispositions nouvelles, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes.
Afin de répondre à cette exigence légale, les bailleurs invoquent, dans le cadre de l’instance, le départ en retraite de M. B Y et le décès de la mère de Mme I Y survenu à son domicile situé […].
En premier lieu, s’il est avéré que M. Y a pris sa retraite le 6 juin 2016 et a bénéficié préalablement à compter du 1er septembre 2014 du dispositif de temps partiel séniors mis en place par Orange dans le cadre de l’accord du 31 décembre 2012, il apparaît néanmoins que cet événement a été préparé et était nécessairement connu au moment de la conclusion du bail. Or, les époux Y n’ont pas informé les époux X qu’ils souhaitaient venir habiter dans cette maison une fois qu’ils seraient à la retraite et par conséquent limiter la location à sa durée initiale. Par ailleurs, le départ en pré-retraite puis en retraite de Mme Y, à les supposer avérés faute de pièces, seraient intervenus au moins deux ans et demi après la délivrance du congé, et ne peuvent de ce fait fonder rétroactivement la décision des bailleurs de mettre fin au bail à compter du 16 avril 2016.
En second lieu, il est établi que la mère de Mme I Y est décédée un an avant la signature du bail, soit le 6 mars 2012. Malgré ce souvenir douloureux, les époux Y ont fait le choix de résider dans sa maison lorsqu’ils viennent en week-end ou en vacances et de louer la maison qui est située à côté. Cet événement familial ne peut donc expliquer qu’ils changent d’avis trois ans plus tard.
Il sera donc constaté que les époux Y ne justifient pas du caractère réel et sérieux de leur décision de reprise alors qu’il est établi que les relations avec leurs locataires se sont avérées très complexes, que la situation s’est particulièrement dégradée au cours de l’année 2015 et qu’ils se sont renseignés, dès le début même de la location, auprès de l’agence immobilière en charge de la gestion du bien pour mettre un terme au bail, sachant que les époux X voulaient s’installer durablement dans le logement, comme en atteste Mme U-V W, conseillère location à l’agence Orpi, dont le professionnalisme ne peut être remis en cause, la preuve de liens d’amitié avec les locataires n’étant pas rapportée (cf : extrait de l’attestation rédigée par Mme U-V W le 17 juin 2016 '… Lors de la rencontre entre les futurs locataires, les propriétaires et moi-même, M. et Mme X ont tout de suite soulevé une question concernant la location, question dont la réponse favorable était une condition sine qua non pour la location. A savoir : les propriétaires sont-ils d’accord pour louer la maison pour une durée minimum de 7-8 ans'. Les époux Y ont répondu par l’affirmative à cette question, en indiquant que cette durée ne les gênait aucunement possédant une maison secondaire juste à côté (terrain voisin) … Deux mois après l’entrée dans les lieux, les propriétaires ont contacté l’agence et plus particulièrement moi-même, leur interlocutrice privilégiée dans le cadre de la location, afin de m’indiquer qu’ils regrettaient la mise en location de leur maison sans raison tangible. Par la suite, divers mails ont été échangés avec mes collègues, mails où ils demandaient la procédure à suivre pour mettre fin à la location …').
Il est manifeste que le congé ne repose sur aucun motif légitime et sérieux ; qu’il a été délivré en fraude des droits des locataires, et uniquement pour cause de mésentente avec ces derniers, les écrits de Mme Y le démontrant (cf : extrait d’un mail envoyé, fin avril 2015, à l’agence immobilière en conclusion d’un message reprenant les éléments de la discorde '… Je tiens à vous signaler que je ne souhaite pas renouveler le contrat de location et souhaite que Mr et Mme X quittent les lieux en Avril 2016 au plus tard. Pour info, j’ai à titre gracieux permis à mes locataires de rentrer dans la maison 2 semaines avant la date prévue et pour quelle récompense … Merci de me donner la marche à suivre pour signifier l’arrêt du contrat à mes locataires. J’espère que ce long mail vous aura éclairé, que vous saurez raisonner mes locataires pour que ce harcèlement moral cesse car il est très nocif pour ma santé et celle de mon époux').
Le congé n’étant pas valide, il est annulé.
- Cour d'appel de Rennes, 5ème chambre, 3 juin 2020, RG n° 17/06708