Le 2 septembre 2005, M. et Mme G. ont vendu une maison d'habitation à M. et Mme P..
A l'acte de vente était annexé un rapport d'expertise judiciaire déposé le 10 mai 2003 dans une instance engagée par M. et Mme G. contre leur assureur à la suite d'un épisode de sécheresse ayant provoqué des fissures sur la maison. Aux termes de ce rapport, l'expert imputait les désordres, consistant en des fissures en façade, à une insuffisance des fondations au regard de la nature du sol et concluait à la nécessité de réaliser des travaux de confortement des fondations par reprise en sous-oeuvre, pour un montant estimé de l'ordre de 300.000 EUR.
M. et Mme P. ont confié à la société V., assurée auprès de la société MAAF assurances (la MAAF), des travaux de confortement des fondations pour un montant approximatif de 10.000 EUR.
Par acte authentique du 3 janvier 2008, M. et Mme P., assistés de leur notaire, M. J., suppléant de Jean-Marie D., ont vendu la maison à M. et Mme M., assistés de la société civile professionnelle Karine de K.-S. et François-Jérôme S. (la société de K.-S.).
Dans le courant de l'été 2009, M. et Mme M. ont constaté l'apparition de fissures sur une façade de la maison.
Ils ont assigné M. et Mme P., la société de K.-S., la société V. et la MAAF en réparation de leurs préjudices.
7. M. et Mme P. ont assigné M. J., les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD (les MMA), assureurs des notaires, en garantie, ainsi que Mme B., veuve D., et Mmes Isabelle et Catherine D. (les consorts D.), ayants droit de Jean-Marie D.
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M. et Mme M. ont fait grief à l’arrêt de rejeter leurs demandes contre M. et Mme P. fondées sur la garantie des vices cachés, alors :
« 1/ que pour juger établie la connaissance du vice par M. et Mme M., acheteurs, la cour d'appel a considéré qu'il résultait de la clause de l'acte de vente, aux termes de laquelle M. et Mme P., vendeurs, indiquaient leur avoir « transmis le dossier concernant la dommage-ouvrage et les procédures en cours », que M. et Mme M. « ne [pouvaient] sérieusement soutenir avoir ignoré le contenu de l'expertise judiciaire » décrivant les vices affectant l'ouvrage ; qu'en se fondant sur cette clause aux termes généraux et imprécis, qui ne relatait pas une constatation personnelle du notaire, sans répondre aux conclusions de M. et Mme M. qui produisaient deux lettres du 12 octobre 2009 et du 23 mars 2010 du notaire qui a reçu l'acte de vente, dont il résultait au contraire que le rapport d'expertise n'avait été communiqué aux acquéreurs que postérieurement à la vente, ce qui remettait en cause l'exactitude des énonciations dépourvues de force authentique de l'acte de vente, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
2/ que, en toute hypothèse, lorsque la chose vendue a fait l'objet de travaux ayant pour objet de mettre un terme à des désordres survenus antérieurement, il ne peut être reproché à l'acquéreur non professionnel, informé de ces travaux, de ne pas s'être assuré que ces derniers, qui rendaient les désordres invisibles lors d'un examen normalement attentif de la chose, les avaient effectivement résorbés ; qu'en l'espèce, il n'était pas contesté que les fissures affectant le bien vendu n'étaient plus apparentes au moment de la vente, pour avoir fait l'objet de reprises par la société V. ; qu'il n'était pas davantage contesté que M. et Mme P. avaient indiqué à M. et Mme M. que les travaux avaient mis fin au vice affectant la chose, et que le notaire ayant reçu l'acte n'avait pas attiré l'attention des acheteurs sur le risque de persistance du vice ; que pour juger cependant que M. et Mme M. disposaient des éléments nécessaires à la connaissance des vices affectant le bien, la cour d'appel a affirmé qu'il résultait du rapport d'expertise réalisé cinq ans auparavant, qui revêtait une réelle importance « pour tout acquéreur normalement curieux », que les travaux réalisés par M. et Mme P. étaient insuffisants ; qu'en mettant ainsi à la charge de M. et Mme M., acquéreurs profanes ayant procédé à un examen normalement attentif de la chose, l'obligation de vérifier si les travaux de reprise réalisés par M. et Mme P. avaient effectivement fait disparaître le vice affectant la chose, ce dont ils ne pouvaient se convaincre qu'en faisant appel à un expert, la cour d'appel a violé les articles 1641 et 1642 du code civil. »
Réponse de la Cour (1)
La cour d’appel a relevé qu’il résultait des mentions de la promesse de vente conclue entre M. et Mme P. et M. et Mme M. et des deux actes de vente des 2 septembre 2005 et 3 janvier 2008 que M. et Mme M. avaient été informés des désordres ayant affecté la maison, de ce qu'une expertise judiciaire avait été ordonnée, de ce que le prix de vente avait été négocié compte tenu de l'estimation des travaux à réaliser et que les documents afférents au sinistre et aux procédures en cours, incluant le rapport d’expertise, avaient été remis à M. et Mme M., qui reconnaissaient avoir reçu des vendeurs la facture des travaux de la société V. d’un montant bien inférieur à celui retenu par l’expert.
Appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, et sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, elle a pu retenir que M. et Mme M. avaient disposé des informations nécessaires sur les désordres, les travaux préconisés par l’expert et le montant des travaux effectivement réalisés et en déduire que le vice affectant les fondations de la maison était connu des acquéreurs et ne constituait pas un vice caché.
Le moyen n’est donc pas fondé.
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M. et Mme M. ont fait grief à l’arrêt d'appel de rejeter leurs demandes contre la société de K.-S., M. J., les consorts D. et les sociétés MMA en condamnation in solidum à leur verser des sommes en réparation de leurs préjudices, alors :
« 1/ que la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déboutant M. et Mme M. de leurs demandes contre M. et Mme P. au titre de la garantie des vices cachés, aux motifs que la communication du rapport d'expertise du 10 mai 2003 avait rendu les désordres affectant le bien apparents au moment de la vente, entraînera, par voie de conséquence, la cassation du chef de dispositif déboutant M. et Mme M. de leur demande en indemnisation contre les notaires, la société de K.-S., S., M. J., Mmes Catherine et Isabelle D., Mme Jeannine B., et la société MMA aux motifs que le rapport d'expertise du 10 mai 2003 avait été communiqué aux acquéreurs, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;
2/ que, subsidiairement, le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes qu'il instrumente ; qu'ainsi, lorsque la communication d'un rapport d'expertise relatif aux désordres affectant un bien immobilier est seule de nature à permettre à un acquéreur d'évaluer les risques liés à l'opération, le notaire rédacteur de l'acte de vente doit l'y annexer et s'assurer que l'acquéreur en a mesuré la portée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que le rapport d'expertise du 10 mai 2003, qui recensait les désordres dont le bien litigieux était affecté, était d'une « réelle importance » pour la vente ; qu'il lui appartenait de vérifier que le contenu de ce rapport, qui n'était pas annexé à l'acte de vente, avait effectivement été communiqué par le notaire à M. et Mme M., et que leur attention avait été attirée sur sa portée et les risques qu'ils encouraient en acquérant un bien affecté de désordres, ce qu'il n'avait pas fait ; qu'en jugeant cependant que la clause générale de l'acte de vente énonçant seulement que « le vendeur a transmis à l'acquéreur le dossier concernant la dommage-ouvrage et les procédures en cours » suffisait à établir que le notaire avait satisfait à son obligation de conseil, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1231-1 du même code. »
Réponse de la Cour (2)
Ayant retenu que M. et Mme M., acquéreurs, avaient été informés, par les mentions contenues dans la promesse de vente et dans l’acte authentique de vente, des sinistres antérieurs ayant affecté le bien et de leurs conséquences et qu’ils avaient eu communication des pièces, incluant le rapport d’expertise, dont il était fait état dans l’acte de vente, la cour d'appel a pu en déduire que les notaires n’avaient pas manqué à leur devoir de conseil en n’ayant pas annexé à l’acte de vente le rapport d’expertise.
Le moyen n’est donc pas fondé.
- Cour de cassation, 3e chambre civile, 28 janvier 2021, RG n° 19-17.574