En application de l'article 21-2 du Code civil, l'étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration, la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.
Il est constant que la communauté de vie exigée par l'article 215 du Code civil au titre des obligations découlant du mariage ne se confond pas avec la seule cohabitation matérielle et qu'une communauté de vie peut exister même en cas de résidence séparée, en raison de la répétitivité et de l'intensité des contacts entre époux malgré leur éloignement. Inversement, si la cohabitation matérielle permet de présumer l'existence d'une communauté de vie, elle peut être contredite s'il est rapporté la preuve d'une absence de volonté de partager une vie affective réelle. Ces éléments doivent s'apprécier au moment de la déclaration de nationalité.
Aux termes de l'article 26-4 du même code, "A défaut de refus d'enregistrement dans les délais légaux, copie de la déclaration est remise au déclarant revêtue de la mention de l'enregistrement.
Dans le délai de deux ans suivant la date à laquelle il a été effectué, l'enregistrement peut être contesté par le ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites.
L'enregistrement peut être également être contesté par le ministère public en cas de fraude ou de mensonge dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude."
Dans le cas d'espèce, l'action introduite par le ministère public aux fins d'annulation de l'enregistrement de la déclaration de nationalité a pour fondement le dernier alinéa de cet article 26-4 de sorte qu'il appartient à ce dernier de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude invoqués.
Au soutien de son action, le ministère public fait valoir que c'est par fraude et mensonge que M. Patrice N. a souscrit une déclaration de nationalité au titre de l'article 21-2 du Code civil, en l'absence de communauté de vie matérielle et affective avec son épouse, avec laquelle il s'est marié dans le seul but de se maintenir sur le territoire français et, par suite, acquérir la nationalité française.
Il est constant dans le cas d'espèce que M. Patrice N. s'est marié avec Mme H. le 25 septembre 2004 et a souscrit le 3 novembre 2008 une déclaration d'acquisition de la nationalité française par l'effet de ce mariage, cette déclaration ayant été enregistrée le 4 août 2009. Le divorce des époux N./H. a été prononcé suivant jugement du 13 septembre 2012, à l'initiative de Mme H., cette dernière attestant que cette décision reposait sur des considérations personnelles exclusives de toute notion d'infidélité de la part de M. N.
Alors que du temps du mariage, M. Patrice N. et Mme H. vivaient ensemble au [...], le tribunal a rappelé à juste titre que cette seule cohabitation matérielle ne suffit pas à démontrer la réalité d'une communauté de vie affective au sens de l'article 215 du Code civil, laquelle ne pouvait se déduire de l'existence d'enfants communs, le couple ayant en effet fait le choix de ne pas en avoir ensemble.
Il est également constant :
- que lors de son arrivée en France le 30 mai 2003, M. Patrice N. avait laissé dans son pays d'origine, le Cameroun, deux enfants nés en 2001 et 2003 de sa relation avec une compatriote camerounaise, Mme Yvonne Ngo Y., son second enfant n'étant âgé que de trois mois à cette époque,
- que M. Patrice N. a reconnu lors de son audition le 17 novembre 2018 par les services de police chargés de l'enquête menée suite à sa déclaration de nationalité souscrite le 3 novembre précédent "se rendre de temps en temps au Cameroun pour rendre visite" à ses deux aînés,
- qu'une troisième enfant, prénommée Cécile, est née des relations de M. Patrice N. avec Mme Yvonne Ngo Y. le 2 octobre 2009 au Cameroun, soit durant son mariage avec Mme H., lequel n'a été dissout que suivant jugement du 13 septembre 2012, cette enfant ayant été conçue dans un temps très proche de la déclaration de nationalité faite par son père,
- que postérieurement à son divorce, M. Patrice N. a eu avec Mme Yvonne Ngo Y. des jumeaux nés le 22 novembre 2013, en France où leur mère avait rejoint leur père, de façon irrégulière, fin avril 2013.
La cour constate que c'est aux termes d'une motivation détaillée et pertinente, qu'elle adopte, que les premiers juges ont déduit de ces circonstances de fait, l'existence d'une liaison continue entre Mme Yvonne Ngo Y. et M. Patrice N. depuis 2001, laquelle s'est poursuivie durant le mariage de ce dernier avec Mme H., comme en témoigne la naissance de leur troisième enfant Cécile, mais également après le divorce des époux N./H., les intéressés ayant en effet fini par vivre ensemble sept mois après ce divorce et donné naissance à leurs deux derniers enfants sept mois plus tard. C'est également à juste titre que les premiers juges ont considéré que si cette relation adultère durant le mariage n'est pas nécessairement exclusive d'une communauté de vie affective de M. Patrice N. avec son épouse française, il en est autrement dans le cas d'espèce dès lors que cette liaison adultère avec la mère de ses premiers enfants a perduré tout au long du mariage avec Mme H. et a abouti à la naissance d'un enfant. Ils en ont conclu à bon escient que nonobstant l'existence d'une cohabitation effective entre M. Patrice N. et Mme H. au sein d'un même logement pendant près de six années, il n'en demeure pas moins que le caractère pérenne de la liaison sentimentale et charnelle de ce dernier avec sa compatriote camerounaise, mère de ses enfants, durant toutes ces années de mariage excluait une communauté de vie affective avec son épouse française.
Dans ces circonstances, le fait pour M. Patrice N. d'attester sur l'honneur, lors de sa souscription de sa nationalité par mariage, le 3 novembre 2008, que sa communauté de vie avec son épouse française n'avait pas cessé entre eux depuis le mariage, constitue un mensonge, voire une fraude de nature à fonder l'action introduite par le ministère public.
C'est donc à juste titre que les premiers juges, ont, sans renverser la charge de la preuve, fait droit à la demande du ministère public et par voie de conséquence annulé l'enregistrement, en date du 4 août 2009, sous le numéro 08950/09, de la déclaration souscrite le 3 novembre 2008 par M. Patrice N. en vue d'acquérir la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du Code civil et constaté l'extranéité de ce dernier.
Le jugement est donc confirmé à cet égard, et M. Patrice N. débouté de toutes ses demandes contraires.
- Cour d'appel de Rennes, 6e chambre A, 11 janvier 2021, RG n° 19/03788