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Le 06 octobre 2014
Si la quotité disponible d'une succession peut être répartie librement entre les héritiers selon la volonté du testateur, elle ne peut pas pour autant reposer sur l'application d'une distinction entre les héritiers fondée uniquement sur une cause illicite
Devant deux notaires rabbiniques à Casablanca (Maroc), M. Simon Z et son épouse Mme Sultana A avaient pris des dispositions testamentaires pour se transmettre mutuellement l'universalité de leurs biens en cas de prédécès et, au-delà, organiser la vie de leur dernière fille, handicapée, Nicole, confiée entièrement à leur autre fille, Sonia, qui devait recevoir le restant des biens disponibles.
Le 28 janvier 1985, Mme Sultana Z avait donné procuration à sa fille Sonia devant les " rabbins-notaires " à Casablanca, pour agir en son nom ; par acte du 22 septembre 1992, Mme Sonia Z vendait pour le compte de sa mère, en vertu de cette procuration, un terrain situé au Maroc, pour un prix de 36 millions de dirhams, dont la moitié seulement fut payée le jour de la signature et versée sur un compte ouvert à son nom ; par deux jugements du 15 juin 1995, le juge des tutelles prononçait la mise sous tutelle de Mme Nicole Z et la curatelle renforcée de Mme Sonia Z.
Mme Sonia Z étant décédée le 8 février 2011 et Mme Nicole Z le 6 août 2011, Mme Jelena X Y, légataire "{ de residuo} " de Mme Sonia Z, suivant testament olographe du 16 juillet 2004 par lequel elle avait institué pour légataire universelle sa sœur Nicole Z en précisant que celle-ci devait rendre à Mme X ceux des biens qui lui étaient légués dont elle n'aurait pas disposé à son décès, a repris l'instance judiciaire alors en cours et la poursuit devant cette cour d'appel ; la régularité de son action n'est plus particulièrement contestée en l'état de l'arrêt 874 rendu le 4 juillet 2012 par la Première chambre civile de la Cour de Cassation dans ce même litige.
M. Armand Z sollicite l'annulation du testament conjonctif du 2 mai 1976 en ce qu'il contient des clauses contraires à l'ordre public français.
Il convient de retenir, ainsi que l'a rappelé la Première chambre civile de la Cour de Cassation dans son arrêt susvisé du 21 novembre 2012, que, dans l'ordre international, les règles qui gouvernent l'établissement d'un testament conjonctif sont des règles de forme ; en application de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961, relative à la forme des testaments, les dispositions testamentaires du 2 mai 1976 ayant été établies selon les formes du droit marocain, lieu de rédaction, ce testament doit être déclaré valable quant à sa forme ; par contre, l'appréciation de sa validité au fond relève de l'application du droit français, régissant la succession.
Sur le fond, ce testament comporte notamment des clauses visant à exhéréder M. Armand Z de toute part dans la succession de ses parents, sauf si sa femme et ses enfants se convertissaient à la religion juive entre-temps.
Ces clauses étaient en effet ainsi rédigées, selon la traduction en français datée du 30 juillet 1976 qui est versée aux débats et incontestée :
" {A la mort du dernier survivant des époux susdits, de tous les biens qui se trouveront disponibles au moment de leur décès, lesdits enfants prélèveront la somme de cent dirhams pour chacun d'eux, le restant des biens disponibles, comme mentionné ci-dessus, revient de droit à la célibataire Sonia D, dès maintenant et une heure après la mort du dernier survivant des époux susdits la nue-propriété et l'usufruit, mais à la condition expresse qu'elle s'occupera de sa sœur Nicole E, soit au Maroc soit à l'étranger. A la mort de la dernière fille, tous les biens disponibles, biens meubles et immeubles et tout ce qui pourra avoir une valeur quelconque revient de droit à leur fils aîné Armand mais à la condition que sa femme et ses enfants soient déjà convertis à la religion juive. Au cas où il n'exécuterait pas cette clause, toute la succession serait dévolue à la Koupa de Rabby Simon F G.} ".
Ces clauses testamentaires contreviennent directement aux dispositions des articles 8 et 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, applicables directement en droit français et qui régissent l'ordre public interne, qui disposent notamment que :
" {Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.} " ; "{ Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.} ".
En l'espèce les dispositions testamentaires susvisées, en ce qu'elles tendent à conditionner tout héritage d'un enfant à l'adoption par son épouse et ses enfants d'une religion déterminée et ainsi à limiter leur liberté de pensée, de conscience, de religion, manquant par là-même au respect de la vie privée de ces personnes, sont contraires à l'ordre public interne français.
En application de l'article 6 et de l'article 1133 du Code civil il est de principe qu'on ne peut déroger par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs, à peine de nullité de la convention dès lors que la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi ou est contraire aux bonnes mœurs et à l'ordre public.
Une autre clause, à la suite de celles ci-dessus citées est ainsi rédigée : "{ le dit époux a stipulé expressément sur son épouse et sur ses enfants susdits qu'ils n'ont aucun droit de faire aucun arrangement avec leur fils et frère, pour lui faire un don, qu'à la condition que sa femme et ses enfants soient déjà convertis comme mentionné ci-dessus} ".
Cette clause s'avère ainsi également contraire aux dispositions d'ordre public relatives à la liberté de pensée, de conscience et de religion et au respect de la vie privée ; elle est donc illicite et doit être annulée.
Par ailleurs le testament comporte également une clause selon laquelle toutes les clauses et conditions stipulées ne peuvent être tranchées que d'après la loi hébraïque, ce qui est également contraire à l'ordre public français comme interdisant l'application des normes juridiques internes à cet acte ; cette clause doit également être annulée, en conséquence pour ce qui concerne la dévolution successorale de Mme Sultana A veuve Z
Il s'ensuit que les clauses citées ci-dessus du testament conjonctif du 2 mai 1976 doivent être annulées comme violant l'ordre public français.
Les autres stipulations testamentaires prévues, en faveur de Mme Sonia Z uniquement, puis après son décès de sa sœur Mme Nicole Z, ayant pour effet d'exhéréder également en ces deux cas, après le décès de leur mère, M. Armand Z, sans autre motif indiqué que celui de la religion de sa femme et de ses enfants, procèdent aussi de la même distinction opérée par leur père, fondée sur cette cause illicite ; elles s'avèrent également contraires à l'ordre public interne français ; elles doivent donc être annulées, pour le même motif.
En l'absence de dispositions testamentaires distinctes et alternatives à l'application de ces clauses nulles, quant à la répartition de l'héritage entre les trois enfants, respectant l'ordre public interne français, il convient de constater l'absence de toute donation régulière de la quotité disponible par le testateur.
En effet, contrairement à ce que soutient Mme Jelena X Y, l'annulation ne peut pas porter uniquement sur la privation, du fait des clauses susvisées de ce testament, de la réserve successorale dévolue à M. Armand Z et conserver ses effets en ce qui concerne la quotité disponible de la succession.
Il est de principe à cet égard que les dispositions à titre gratuit comme les dispositions à titre onéreux, sont nulles quand elles reposent sur une cause illicite ainsi que l'avait rappelé la Chambre Civile de la Cour de Cassation dans son arrêt de 1907.
Si la quotité disponible d'une succession peut être répartie librement entre les héritiers selon la volonté du testateur, elle ne peut pas pour autant reposer sur l'application d'une distinction entre les héritiers fondée uniquement sur une cause illicite, contraire à l'ordre public interne, ce qui est le cas en l'espèce de l'imposition d'une religion à la famille de l'héritier pour qu'il ne soit pas exclu de cette répartition.
{{Il s'ensuit qu'hormis pour ce qui concerne la donation entre époux des biens au dernier survivant, conforme au droit public interne français, il convient d'annuler l'entier testament, constitué uniquement des clauses illicites susvisées annulées.}}
Le jugement déféré doit donc être partiellement infirmé quant à l'étendue de l'annulation, mais seulement en ce qui concerne la donation entre époux en faveur du dernier survivant.
Devant deux notaires rabbiniques à Casablanca (Maroc), M. Simon Z et son épouse Mme Sultana A avaient pris des dispositions testamentaires pour se transmettre mutuellement l'universalité de leurs biens en cas de prédécès et, au-delà, organiser la vie de leur dernière fille, handicapée, Nicole, confiée entièrement à leur autre fille, Sonia, qui devait recevoir le restant des biens disponibles.
Le 28 janvier 1985, Mme Sultana Z avait donné procuration à sa fille Sonia devant les " rabbins-notaires " à Casablanca, pour agir en son nom ; par acte du 22 septembre 1992, Mme Sonia Z vendait pour le compte de sa mère, en vertu de cette procuration, un terrain situé au Maroc, pour un prix de 36 millions de dirhams, dont la moitié seulement fut payée le jour de la signature et versée sur un compte ouvert à son nom ; par deux jugements du 15 juin 1995, le juge des tutelles prononçait la mise sous tutelle de Mme Nicole Z et la curatelle renforcée de Mme Sonia Z.
Mme Sonia Z étant décédée le 8 février 2011 et Mme Nicole Z le 6 août 2011, Mme Jelena X Y, légataire "{ de residuo} " de Mme Sonia Z, suivant testament olographe du 16 juillet 2004 par lequel elle avait institué pour légataire universelle sa sœur Nicole Z en précisant que celle-ci devait rendre à Mme X ceux des biens qui lui étaient légués dont elle n'aurait pas disposé à son décès, a repris l'instance judiciaire alors en cours et la poursuit devant cette cour d'appel ; la régularité de son action n'est plus particulièrement contestée en l'état de l'arrêt 874 rendu le 4 juillet 2012 par la Première chambre civile de la Cour de Cassation dans ce même litige.
M. Armand Z sollicite l'annulation du testament conjonctif du 2 mai 1976 en ce qu'il contient des clauses contraires à l'ordre public français.
Il convient de retenir, ainsi que l'a rappelé la Première chambre civile de la Cour de Cassation dans son arrêt susvisé du 21 novembre 2012, que, dans l'ordre international, les règles qui gouvernent l'établissement d'un testament conjonctif sont des règles de forme ; en application de la Convention de La Haye du 5 octobre 1961, relative à la forme des testaments, les dispositions testamentaires du 2 mai 1976 ayant été établies selon les formes du droit marocain, lieu de rédaction, ce testament doit être déclaré valable quant à sa forme ; par contre, l'appréciation de sa validité au fond relève de l'application du droit français, régissant la succession.
Sur le fond, ce testament comporte notamment des clauses visant à exhéréder M. Armand Z de toute part dans la succession de ses parents, sauf si sa femme et ses enfants se convertissaient à la religion juive entre-temps.
Ces clauses étaient en effet ainsi rédigées, selon la traduction en français datée du 30 juillet 1976 qui est versée aux débats et incontestée :
" {A la mort du dernier survivant des époux susdits, de tous les biens qui se trouveront disponibles au moment de leur décès, lesdits enfants prélèveront la somme de cent dirhams pour chacun d'eux, le restant des biens disponibles, comme mentionné ci-dessus, revient de droit à la célibataire Sonia D, dès maintenant et une heure après la mort du dernier survivant des époux susdits la nue-propriété et l'usufruit, mais à la condition expresse qu'elle s'occupera de sa sœur Nicole E, soit au Maroc soit à l'étranger. A la mort de la dernière fille, tous les biens disponibles, biens meubles et immeubles et tout ce qui pourra avoir une valeur quelconque revient de droit à leur fils aîné Armand mais à la condition que sa femme et ses enfants soient déjà convertis à la religion juive. Au cas où il n'exécuterait pas cette clause, toute la succession serait dévolue à la Koupa de Rabby Simon F G.} ".
Ces clauses testamentaires contreviennent directement aux dispositions des articles 8 et 9 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, applicables directement en droit français et qui régissent l'ordre public interne, qui disposent notamment que :
" {Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.} " ; "{ Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.} ".
En l'espèce les dispositions testamentaires susvisées, en ce qu'elles tendent à conditionner tout héritage d'un enfant à l'adoption par son épouse et ses enfants d'une religion déterminée et ainsi à limiter leur liberté de pensée, de conscience, de religion, manquant par là-même au respect de la vie privée de ces personnes, sont contraires à l'ordre public interne français.
En application de l'article 6 et de l'article 1133 du Code civil il est de principe qu'on ne peut déroger par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs, à peine de nullité de la convention dès lors que la cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi ou est contraire aux bonnes mœurs et à l'ordre public.
Une autre clause, à la suite de celles ci-dessus citées est ainsi rédigée : "{ le dit époux a stipulé expressément sur son épouse et sur ses enfants susdits qu'ils n'ont aucun droit de faire aucun arrangement avec leur fils et frère, pour lui faire un don, qu'à la condition que sa femme et ses enfants soient déjà convertis comme mentionné ci-dessus} ".
Cette clause s'avère ainsi également contraire aux dispositions d'ordre public relatives à la liberté de pensée, de conscience et de religion et au respect de la vie privée ; elle est donc illicite et doit être annulée.
Par ailleurs le testament comporte également une clause selon laquelle toutes les clauses et conditions stipulées ne peuvent être tranchées que d'après la loi hébraïque, ce qui est également contraire à l'ordre public français comme interdisant l'application des normes juridiques internes à cet acte ; cette clause doit également être annulée, en conséquence pour ce qui concerne la dévolution successorale de Mme Sultana A veuve Z
Il s'ensuit que les clauses citées ci-dessus du testament conjonctif du 2 mai 1976 doivent être annulées comme violant l'ordre public français.
Les autres stipulations testamentaires prévues, en faveur de Mme Sonia Z uniquement, puis après son décès de sa sœur Mme Nicole Z, ayant pour effet d'exhéréder également en ces deux cas, après le décès de leur mère, M. Armand Z, sans autre motif indiqué que celui de la religion de sa femme et de ses enfants, procèdent aussi de la même distinction opérée par leur père, fondée sur cette cause illicite ; elles s'avèrent également contraires à l'ordre public interne français ; elles doivent donc être annulées, pour le même motif.
En l'absence de dispositions testamentaires distinctes et alternatives à l'application de ces clauses nulles, quant à la répartition de l'héritage entre les trois enfants, respectant l'ordre public interne français, il convient de constater l'absence de toute donation régulière de la quotité disponible par le testateur.
En effet, contrairement à ce que soutient Mme Jelena X Y, l'annulation ne peut pas porter uniquement sur la privation, du fait des clauses susvisées de ce testament, de la réserve successorale dévolue à M. Armand Z et conserver ses effets en ce qui concerne la quotité disponible de la succession.
Il est de principe à cet égard que les dispositions à titre gratuit comme les dispositions à titre onéreux, sont nulles quand elles reposent sur une cause illicite ainsi que l'avait rappelé la Chambre Civile de la Cour de Cassation dans son arrêt de 1907.
Si la quotité disponible d'une succession peut être répartie librement entre les héritiers selon la volonté du testateur, elle ne peut pas pour autant reposer sur l'application d'une distinction entre les héritiers fondée uniquement sur une cause illicite, contraire à l'ordre public interne, ce qui est le cas en l'espèce de l'imposition d'une religion à la famille de l'héritier pour qu'il ne soit pas exclu de cette répartition.
{{Il s'ensuit qu'hormis pour ce qui concerne la donation entre époux des biens au dernier survivant, conforme au droit public interne français, il convient d'annuler l'entier testament, constitué uniquement des clauses illicites susvisées annulées.}}
Le jugement déféré doit donc être partiellement infirmé quant à l'étendue de l'annulation, mais seulement en ce qui concerne la donation entre époux en faveur du dernier survivant.
Référence:
Référence:
- Cour d'appel de Montpellier, 1e chambre section ao1, 3 juill. 2014, N° de RG: 13/02615