our d'appel, Angers, Chambre civile A, 16 Novembre 2021 – n° 17/01608
Dans le cadre d'une activité de production de viande de bovins de race limousine et de veaux de lait élevés sous la mère dans deux filières Label Rouge, l'EARL de l'Enfènerie constituée le 1er février 2007 et ayant son siège social au [...], exploite des terres d'une surface de 131,29 hectares mises à sa disposition par ses gérants, M. Jean-Pierre R. et son épouse Mme Laure M. (les époux R. M.), titulaires de plusieurs baux ruraux à long terme, à Bouère et Saint-Brice, à proximité de l'usine de décontamination de transformateurs et autres matériels et matériaux contenant des PCB (polychlorobiphényles) de type dioxine, substances toxiques, de la SA Aprochim implantée dans la zone industrielle « La Promenade » à Grez-en-Bouère, qui constitue une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE) soumise à autorisation au sens de l'article L 512-1 du Code de l'environnement et dispose d'un arrêté préfectoral d'autorisation du 30 juin 2006 réglementant ses activités.
Suite à la découverte le 12 janvier 2011 d'une contamination du lait d'une ferme en bordure de site par les dioxines, furanes et PCB et à la mise en place d'un plan de surveillance des émissions de l'usine selon arrêté du préfet de la Mayenne en date du 20 janvier 2011, des analyses de graisses bovines prélevées sur le cheptel de l'EARL de l'Enfènerie ont montré que les teneurs en PCDD/F (polychlorodibenzodioxines/polychlorodibenzofurannes) et PCBdl (polychlorobiphényles dioxin-like) dépassaient le seuil de 4,5 pgTEQ/g fixé par le règlement CE n°1881/2006, TEQ étant l'indicateur d'équivalent toxique, et des analyses de sol et d'herbes prélevés sur l'îlot de parcelles de « La Petite Vallée » exploité par l'EARL de l'Enfènerie ont révélé des anomalies importantes de teneur en PCB, ce qui a conduit le préfet à prendre les 4 et 21 février 2011 deux arrêtés plaçant sous séquestre les veaux, puis les veaux et génisses de l'EARL de l'Enfènerie, tout commerce et mouvement de ces animaux étant interdits, de même que la cession à titre gratuit ou onéreux des denrées animales et d'origine animale provenant de ces animaux.
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La responsabilité, pour troubles anormaux du voisinage, d'une usine de décontamination de transformateurs et autres matériels et matériaux contenant des substances toxiques dans la pollution des sols au PCB (polychlorobiphényles) n'est plus contestée à hauteur d'appel. Seule est en litige l'évaluation du préjudice subi par l'EARL exploitant, à proximité de l'usine, une activité de production de viande de bovins de race limousine et de veaux de lait élevés sous la mère dans deux filières Label Rouge. Les anomalies importantes de teneur en PCB ont conduit le préfet à prendre les 4 et 21 février 2011 deux arrêtés plaçant sous séquestre les veaux, puis les veaux et génisses de l'EARL, tout commerce et mouvement de ces animaux étant interdits, de même que la cession à titre gratuit ou onéreux des denrées animales et d'origine animale provenant de ces animaux. La mise sous séquestre a été partiellement levée, puis réordonnée et la levée de toute restriction a été ordonnée pour le 21 mai 2021.
Le préjudice économique subi par l'EARL de 2011 à 2020 inclus consiste dans la perte de chiffre d'affaire et la perte d'animaux, l'augmentation des charges opérationnelles et les charges de structure supplémentaires. Au vu du rapport d'expertise judiciaire, l'indemnisation de ce préjudice est fixé à 1 018 464 euros. C'est à juste titre que les deux associés de l'EARL demandent la réparation de leur préjudice moral. L'état d'angoisse dans lequel le couple d'associés a vécu depuis 2011 au sujet, non seulement de leur santé et celle de leur fille, ce jusqu'au rapport rassurant du sapiteur médecin du 14 avril 2014 concluant qu'il n'a pas été observé de pathologie en lien avec une exposition ou une contamination par les PCB, mais aussi de leur avenir professionnel mis à mal par la pollution, ainsi que les tracas qu'ils ont dû subir pour continuer à porter leur projet d'élevage haut de gamme en dépit des difficultés financières et autres induites par la découverte de la contamination de leur cheptel et les mesures de séquestre qui s'en sont suivies, justifient d'allouer à chacun d'eux une indemnité de 20.000 EUR.
- Cour d'appel d'Angers, Chambre civile A, 16 novembre 2021, RGn° 17/01608