Par acte sous signature privée du 23 juin 1993, Mme Suzanne P. a donné à bail à M. David E. un appartement de 2 pièces principales dépendant d'un immeuble situé [...].
Ce bail a été consenti pour une durée de 6 ans, moyennant un loyer de 1.900 francs par mois plus les charges et augmentations légales.
Mme Suzanne P. est décédée le 6 mars 2007. L'immeuble dont dépend l'appartement loué à M. David E. a ainsi été transmis par voie de succession à Mme Thérèse P., puis à M. Michel L. au décès de cette dernière.
Par acte notarié du 24 juillet 2015, M. Michel L. a vendu l'immeuble entier du [...] à la société civile immobilière Gydem, constituée entre M. Djamel H. et M. Yasmin H.. Il était expressément précisé à l'acte que M. David E. ne payait plus son loyer d'un montant de 289,65 EUR depuis mars 2007, date du décès de Mme Suzanne P..
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 août 2015, M. David E. a indiqué à la société Gydem qu'il avait accepté de reprendre le paiement des loyers en contrepartie de la promesse qui lui avait été faite le 31 juillet 2015 de réaliser les travaux de réhabilitation de son logement.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 février 2016, M. David E. a mis la société Gydem en demeure d'effectuer les travaux de réhabilitation de son appartement.
Le 29 novembre 2016, la société Gydem a donné congé à M. David E. pour le 30 juin 2017, date d'expiration de son bail, en vue de la reprise du logement par M. Yasmin H..
Par acte d'huissier du 11 juillet 2017, la société Gydem a fait assigner M. David E. devant le Tribunal d'instance de Nogent-sur-Marne aux fins de voir valider le congé-reprise signifié le 29 novembre 2016 avec toutes les conséquences de droit.
Appel a éré relevé.
Rappel des conditions de la reprise du logement loué
Le bailleur doit reprendre le bien à son profit ou au profit des personnes autorisées pour l'habiter dans un délai raisonnable et pour une durée sérieuse, sous peine de voir caractériser son congé de frauduleux encourant la nullité, étant précisé que la charge de la preuve du caractère frauduleux du congé reste à la charge du preneur qui l'invoque.
L'article 15-I de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 instaure ainsi un contrôle a priori de la validité de fond du congé en donnant un pouvoir souverain au juge de vérifier la réalité du motif du congé, comme de déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n'apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes.
Enfin, les dispositions d'ordre public de la loi de 1989 et le principe selon lequel le droit au logement est un droit fondamental interdisent toute reprise afin de se livrer à une opération spéculative quelles que soient les circonstances de la cause et du loyer.
La reprise au bénéfice de l'associé de la société bailleresse
Il est démontré que l’associé de la société bailleresse, bénéficiaire du congé pour reprise, n'est, pour sa part, propriétaire d'aucun bien immobilier, qu'il est sans emploi et bénéficie de faibles ressources comme en attestent les deux avis de non-imposition et l'attestation de Pôle Emploi. La preuve de la précarité de sa situation est également rapportée par l'hébergement dont il bénéficie dans l'ancienne maison familiale occupée par plusieurs membres de sa fratrie, propriété indivise de deux membres de sa famille, au sein de laquelle il ne peut continuer à cohabiter en raison de sa situation personnelle, de son âge et des tensions personnelles entre les occupants de la maison familiale. Il en résulte que seul l'appartement loué au locataire, au vu de l'ensemble des baux produits, relevait d'un bail dont la date d'échéance - 30 juin 2017 - était compatible avec l'exercice d'une reprise par le propriétaire en ce qu'il était disponible à la date où le besoin de reprise a été exprimé.
Enfin, s'il est vrai que début décembre 2016 (quelques jours après la date du congé), un des logements du rez-de-chaussée de l'immeuble s'était libéré, et que le locataire a écrit à la société bailleresse qu'il acceptait de quitter son logement pour occuper celui venant de se libérer, afin de permettre au bénéficiaire de la reprise d'occuper le sien, cette dernière a répondu qu'il était déjà reloué.
Ainsi et contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, le congé, acte unilatéral, ne pouvait tenir compte d'un événement non advenu qui n'interviendrait que plusieurs jours plus tard, en l'occurrence le décès d'un locataire et son remplacement par un autre locataire.
Il ressort ainsi des pièces versées aux débats et des moyens développés par les parties que le congé répondait au caractère réel et sérieux requis par les dispositions précitées de la loi de 1989 et que la réalité de la relocation est établie, de sorte que le congé n'a pas été délivré frauduleusement.
- Cour d'appel de Paris, Pôle 4, chambre 3, 26 novembre 2021, RG n° 19/04642