Un passage à gué situé dans le lit d'un cours d'eau non domanial et bordé à cet endroit par des parcelles n'appartenant pas à la commune n'a pas le caractère d'un chemin rural. Le maire n'est donc pas tenu de mettre en oeuvre ses pouvoirs de police pour y rétablir la circulation.
Une rivière est traversée par un passage à gué qui relie deux chemins ruraux. Des riverains ayant entravé ce passage, la commune décide l'ouverture d'un nouveau gué, un peu plus loin.
Des habitants du lieu demandent alors au maire de fermer le nouveau gué qu'ils estiment dangereux pour les usagers et de mettre en oeuvre ses pouvoirs de police afin de faire libérer l'ancien passage. Suite au rejet de leurs demandes par l'autorité municipale, ils ont saisi le Tribunal administratif de Nantes le 18 juin 2010.
Déboutés le 27 mai 2014, ils demandent à la Cour administrative d'appel d'annuler le jugement pour motivation insuffisante ainsi que les décisions du maire.
Pour contester le refus du maire d'exercer ses pouvoirs de police, ils prétendent que le passage à gué constitue un chemin rural immergé, affecté à l'usage du public, assurant la liaison entre deux chemins ruraux et que, bordé par plusieurs parcelles, il s'agit d'une propriété indivise dont l'usage n'est pas réservé à un riverain. Ils soutiennent également que le régime juridique applicable au passage à gué est celui des ponts routiers enjambant les cours d'eau et des bacs.
À l'encontre du refus de fermeture du nouveau gué, ils avancent que ce dernier constitue un "gué de substitution" et réaffirment qu'il est dangereux pour les usagers.
Pour rejeter à nouveau leur requête et confirmer ainsi les décisions municipales, les juges du second degré ont considéré, d'une part, que le passage litigieux n'était pas un chemin rural ni un pont supportant un tel chemin et, d'autre part, que la dangerosité du nouveau gué n'était pas établie.
La cour (et avant elle le conseil municipal dans sa délibération autorisant le maire à défendre les intérêts de la commune devant la juridiction administrative) a indiqué que le nouveau passage avait été régulièrement déclaré au titre de l'art. L. 214-3 du Code de l'environnement. Il convient de rappeler à cet égard, que les travaux de création (ou de réhabilitation) d'un gué supposent une déclaration préalable en préfecture au titre de la protection de l'environnement, notamment pour les rubriques 3.1.2.0 (installations, ouvrages, travaux ou activités conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau, à l'exclusion de ceux visés à la rubrique 3.1.4.0, ou conduisant à la dérivation d'un cours d'eau) et 3.1.5.0 (installations, ouvrages, travaux ou activités, dans le lit mineur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères, les zones de croissance ou les zones d'alimentation de la faune piscicole, des crustacés et des batraciens, ou dans le lit majeur d'un cours d'eau, étant de nature à détruire les frayères de brochet) de l'article R. 214-1 du même code. Le dossier de déclaration, constitué selon les prescriptions de l'arrêté ministériel du 28 novembre 2007 qui régit aussi les conditions techniques d'exécution des travaux, permet de garantir la compatibilité du projet avec les dispositions du schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux ou du schéma d'aménagement et de gestion des eaux, ainsi que le respect des intérêts mentionnés à l'art. L. 211-1 du Code de l'environnement. Toutefois, ce régime déclaratif ne préjuge pas de la sécurité de la circulation sur le passage en question.
Le premier point concernait la qualification du passage à gué, dont dépendait l'obligation pour le maire d'exercer ses pouvoirs de police. En effet, le maire a le pouvoir d'assurer la police et la conservation des chemins ruraux (C. rur. pêche marit., art. L. 161-5) notamment pour faire supprimer tout obstacle entravant la circulation (C. rur. pêche marit., art. D. 161-11) et l'obligation légale de faire cesser une telle atteinte à peine d'engager la responsabilité de la commune. Mais encore faut-il qu'il s'agisse bien d'un chemin rural c'est-à-dire, selon l'art. L. 161-1 du Code rural et de la pêche maritime, un chemin appartenant à la commune, affecté à l'usage du public et non classé comme voie communale. Ainsi, la qualification de chemin rural ne peut s'appliquer qu'à une voie appartenant à la commune.
Or, tel n'était pas le cas du passage en cause qui, comme le lit de la rivière dans laquelle il se trouve, appartenait, conformément à l'art. 215-2 du Code de l'environnement, aux propriétaires des deux rives, en l'espèce des personnes privées.
Ainsi la Cour il fixe la marche à suivre pour savoir si un gué a ou non le caractère d'un chemin d'exploitation.
Il faut assimiler le gué au lit du cours d'eau qu'il traverse, du point de vue de la propriété, ce qui se conçoit aisément dans la mesure où ce passage immergé est indissociable lit qui le supporte. En cela, le passage à gué se distingue du pont supportant une voie de circulation, lequel, selon une jurisprudence constante, est considérée comme un élément constitutif des voies dont il relie les parties séparées pour assurer la continuité du passage.
- C.A.A. Nantes, 2e ch., 12 janv. 2016, req. n° 14NT01982, M c/ Cne Saint Aubin des Châteaux
Commentaire : Droit rural n° 444, Juin 2016, comm. 148
La propriété du lit d'un cours d'eau détermine la qualification de chemin rural d'un passage à gué
Par Denis LOCHOUARN , docteur en droit