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Le 14 août 2012
Cette expression claire de la volonté des parties exclut que puisse être recherchée une qualification différente; en outre, le bail à complant peut toujours être cédé par le preneur, alors que l'article six du bail litigieux prévoit que "toute cession du droit au présent bail et toute sous-location, même partielles, sont interdites"
Dérogatoire du statut du fermage, le bail à complant, rare et seulement applicable à la vigne, met en relation un propriétaire et un "complanter".

{{Le bail à complant}} est la cession d’un terrain à un fermier "complanter" dans l’unique but de planter des vignes {{et de livrer au bailleur une partie de la récolte}}, point commun avec le métayage.

Ce bail est régi par les art. L. 441-1 à L. 441-13 du Code rural, articles qui mettent en place un régime très particulier d’usage du fonds agricole. Notamment, le droit de replantation fait l’objet de règles singulières qui sont fondées en principe sur l’accord des deux parties. En cas de désaccord, l’arbitrage de l’administration est obligatoire. Le cépage replanté fait l’objet d’un accord entre le complanteur et le propriétaire conformément aux normes en vigueur cependant (cette dernière condition se comprenant aisément au regard des règles sur les AOC...). Cette replantation est aux frais exclusifs du complanteur.

La société DOMAINE S. prétend que l'acte conclu le 15 févr. 1969 contenait une convention unique, qui doit recevoir la qualification de bail à complant.

Dans cet acte notarié, les parties ont expressément entendu adopter successivement deux conventions, respectivement dénommées "plantation" et "bail"; par la première, la SCI DOMAINE S. mettait gratuitement à la disposition des époux D la parcelle litigieuse, à charge pour ceux-ci de la planter en vigne dans des conditions indiquées de façon précise, sur la qualité des végétaux et le soin qui devait leur être apporté.

La deuxième convention est expressément qualifiée de bail à ferme, et sa durée est distinguée de celle de la mise à disposition gratuite en vue d'une plantation, comme commençant le 1er nov. 1981, après l'enlèvement de la récolte de l'année, pour se terminer le 31 oct. 2011.

Cette expression claire de la volonté des parties exclut que puisse être recherchée une qualification différente; en outre, le bail à complant peut toujours être cédé par le preneur, alors que l'article six du bail litigieux prévoit que "toute cession du droit au présent bail et toute sous-location, même partielles, sont interdites"; enfin, la société DOMAINE S. elle-même rappelle dans le congé critiqué que la location à laquelle il est mis fin et celle d'un bail fait "pour une durée de 30 années entières et consécutives à compter du 1er novembre 1981 pour se terminer le 31 octobre 2011"; il résulte suffisamment de ces éléments que le bail unissant les parties est bien un bail soumis au statut réglementé des baux ruraux à ferme.

En conséquence, le preneur peut exiger le renouvellement du bail à son terme, sauf la faculté ouverte au bailleur de réaliser la reprise des biens loués pour en assurer personnellement l'exploitation; en application de l'art. L. 411-60 du code précité, une personne morale propriétaire du bien agricole loué peut exercer ce droit de reprise, dès lors qu'elle a un objet agricole, et que l'associé bénéficiaire de la reprise détient des parts sociales depuis neuf ans au moins s'il les a acquises à titre onéreux.

En l'espèce, il est constant que, avant son assemblée générale extraordinaire du 15 déc. 2009 la société DOMAINE S. ne remplissait pas les conditions essentielles pour exercer ce droit, puisqu'elle n'avait pas un objet agricole, et ne comprenait pas un associé pouvant assurer l'exploitation.

Dans les quatre mois précédant la délivrance du congé, la société DOMAINE S. a procédé à une série d'opérations ayant eu pour effet de lui permettre de se trouver dans une situation conforme aux dispositions de l'art. L. 411-60 précité ; ainsi, dans sa délibération du 15 déc. 2009, elle a adopté une nouvelle dénomination, et surtout un nouvel objet social, comprenant "l'exploitation d'un domaine viticole, la mise en valeur, l'administration et l'exploitation... de tout vignoble, terres et immeubles...", puis a agréé M. C. en qualité de nouvel associé par délibération du 15 janv. 2010.

L'explication de ce montage réalisé, sinon précipitamment, du moins dans un court délai, réside expressément dans le procès-verbal des délibérations de la société S. F., associée majoritaire de la société DOMAINE S., qui énonce d'abord que "la société civile DOMAINE S. est une filiale de la société S. F. Pour valoriser cette filiale, il a été décidé qu'elle exploite personnellement les vignes dont elle est propriétaire", puis rappelle qu'une opération distincte de résiliation amiable d'un bail portant sur d'autres terres a été effectuée, et exprime enfin le projet d'exploiter les vignes sur lesquelles il existe un bail au profit de M. D.

Ce procès-verbal rappelle que l'exploitation ne peut être faite que par un associé personne physique propriétaire des parts depuis plus de neuf ans, mais aussi que "la donation de parts par un associé possédant des parts depuis plus de neuf ans permet de pallier cette condition de possession de neuf ans", et énonce clairement que "notre société possédant ses parts de SC DOMAINE S. depuis plus de neuf ans envisage de procéder à de cette donation de deux parts de ces sociétés au profit de M. Jean-Claude C. Ce dernier, viticulteur, fera le travail sur ces vignes..."; ainsi ce procès-verbal contient, en termes très explicites, la description des opérations nécessaires pour contourner les dispositions protectrices du premier alinéa de l'art. L. 411-46 du Code rural et empêcher le renouvellement du bail au profit de M. D.

Il révèle aussi l'intention qui animait la société S. F. dans le cadre de la donation de deux parts à Monsieur C. ; il en ressort très clairement que cette société n'avait aucune intention de gratifier le donataire, mais se trouvait obligée d'envisager cette cession à titre gratuit pour obtenir le bénéfice attendu, c'est-à-dire la dispense d'une possession de neuf ans par l'associé personne physique devant assurer l'exploitation du fonds repris.

La preuve est ainsi rapportée que l'ensemble de ces opérations ayant précédé le congé délivré à M. D n'avait pour but que de faire échec au droit de renouvellement du preneur pour assurer la reprise des terres, et une valorisation directe, économiquement plus intéressante; la fraude ainsi caractérisée doit entraîner l'annulation du congé délivré le 31 mars 2010.
Référence: 
Référence: - C.A. de Paris, Pôle 4, Ch. 9, 24 nov. 2011 (pourvoi N° 11/10202, confirmation