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Le 01 octobre 2017

Jacques et Martine se sont mariés à Manteyer le 30 juin 2005 ; par acte authentique du 9 juin 2005 reçu par Jean-François, notaire en [...], les époux ont inscrit leur union sous le régime de la séparation de biens.

Par acte authentique du 30 octobre 2007 reçu par le même notaire, ils ont ajouté à ce contrat la constitution d'une société d'acquêts.

Jacques a procédé à l'apport à la société d'acquêts de ses biens constitués par de multiples biens immobiliers et mobiliers, à savoir pour ces derniers les parts sociales de sociétés civiles immobilières et de sociétés commerciales diverses, outre les liquidités figurant sur divers comptes et placements souscrits à son nom.

L'intégralité des biens meubles et immeubles propriétés du concluant avaient été acquis, soit par voie de cession, soit par voie de succession, antérieurement à la date du mariage.

Jacques s'engageait par ailleurs à apporter à la société d'acquêts l'intégralité de ses biens à venir, ainsi que les fruits et revenus de ses biens propres et de son activité professionnelle.

Martine n'effectuait pour sa part, aucun apport à la société d'acquêts et s'interdisait de procéder à un quelconque apport pour le futur.

Cette convention comportait par ailleurs une clause d'attribution intégrale de la société d'acquêts au profit du conjoint survivant.

L'acte du 30 octobre 2007 précisait qu'elle serait administrée par les deux époux conformément aux dispositions des art. 1421 à 1425 du Code civil régissant le régime de la communauté légale, chaque époux conservant par ailleurs la faculté de procéder aux actes d'administration et de disposition sur les biens de la société d'acquêts, sous réserve de l'application des art. 1422 à 1425 du même code civil.

Par modification du régime matrimonial, les époux séparés de bien ont donc constitué une société d'acquêts ainsi qu'il résulte en patrticulier d'une reconnaissance d'avis donné, signée par les parties. Celle-ci vise de façon expresse le déséquilibre de la convention et le fait que l'épouse serait propriétaire des biens apportés. Le mari était donc informé que la gestion des dits biens ne se ferait plus de manière souveraine par lui mais que les pouvoirs seraient partagés entre les époux de même en ce qui concerne les conséquences pécuniaires de l'acte qui l'engage. Aussi, le mari ne peut, sur le fondement de l'art. 1109 du Code civil, prétendre que son consentement a été vicié.

En modifiant le régime matrimonial de séparation de biens, les époux, séparés de biens, ont constitué une société d'acquêts. Le caractère unilatéral de la finalité du changement de régime matrimonialn'est pas exclusif de la conformité de ce changement à l'intérêt de la famille et le contrat de mariage n'est pas un contrat commutatif dans lequel les prestations ou avantages se doivent d'être équilibrés. Aussi, le changement de régime matrimonial, voulu et adopté en pleine connaissance de cause par les parties, ainsi qu'il résulte de la reconnaissance d'avis donné ne peut être qualifié d'erreur, eu égard à l'art. 1110 alinéa premier du Code civil.

Si le mari avance que le notaire était le conseil « habituel » de l'épouse d'où un concert frauduleux entre eux, il n'est pas démontré que le notaire ait connu l'épouse ou le mari avant qu'ils ne viennent le solliciter pour leur contrat de mariage en 2005. Ce notaire n'a reçu aucun acte les concernant ou concernant une société dans laquelle ils avaient des intérêts autres que ce contrat de mariage et de l'acte modificatif. Par ailleurs, le changement de régime matrimonial s'inscrit dans la continuité des relations des époux. Enfin, eu égard à l'art. 1116 du Code civil, le mari ne rapporte pas la preuve de manoeuvres dolosives de la part de son épouse préalables à l'acte modificatif, telles que sans elles il n'aurait pas consenti audit acte. Son consentement était donc libre et éclairé.

La cause de la constitution d'une société d'acquêts peut être la volonté d'un époux de gratifier son conjoint, c'est-à-dire l'intention libérale, l'existence de la cause s'appréciant au jour du contrat. En l'espèce, vu leur situation personnelle et patrimoniale, l'adjonction d'une telle société est, au jour de l'acte, eu égard à l'art. 1131 du Code civil, conforme à l'intérêt de la famille. Le mari a reconnu lui-même son intention libérale au jour de l'acte par affirmation dans l'assignation en divorce délivrée contre son épouse. L'intérêt de la famille s'apprécie dans son ensemble sachant que le risque de lésion d'un de ses membres n'interdit pas en soi ni à lui seul, la modification ou le changement de régime matrimonial, notamment lorsqu'il s'agit d'assurer la situation pécuniaire d'un conjoint comme cela était le cas en l'occurrence après plusieurs années de collaboration professionnelle et de vie commune. Le patrimoine du mari était plus important que celui de son épouse et n'avait pour proches parents que des collatéraux ordinaires. La constitution d'une société d'acquêts permet de protéger et de conforter la situation patrimoniale et financière de son épouse, au cas où il viendrait à décéder.

Si l'art. 1387 du Code civil, édicte un principe général de liberté des conventions matrimoniales, la constitution d'une société d'acquêts n'est pas intrinsèquement de nature à porter atteinte aux bonnes moeurs. En l'espèce, le contrat de mariage n'étant pas un contrat commutatif dans lequel les prestations ou avantages devraient être équilibrés, le caractère unilatéral de la finalité du changement de régime matrimonial, respectant l'intérêt de la famille, n'est pas contraire à l'ordre public ni aux bonnes moeurs.

Si, en vertu de l'art. 1844-1 du Code civil, les clauses dites léonines, stipulant des charges supportées par une seule des parties alors que l'autre en tire tous les avantages, sont prohibées et réputées non écrites, la société d'acquêts n'est pas une société au sens des art. 1832 et suivants du Code civil. Les règles qui la régissent sont celles applicables aux biens communs en régime de communauté. Au surplus, la clause d'attribution intégrale de la société d'acquêts au survivant induit un aléa, lequel exclut le caractère lésionnaire de la convention invoqué par l'intimé (le mari) qui au surplus n'est pas une cause de rescision de la constitution d'une telle société.

Référence: 

- Cour d'appel de Lyon, Chambre 2 A, 20 juin 2017, RG N° 13/07178