La théorie des troubles anormaux du voisinage est une création prétorienne fondée sur le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal de voisinage.
Il s’agit d’une responsabilité sans faute qui repose sur la considération que les relations de voisinage génèrent des inconvénients que chacun doit supporter sauf s’ils dépassent les limites de ce qu’il est habituel de supporter entre voisins.
La mise en oeuvre de cette responsabilité nécessite la preuve d’un lien de causalité entre un fait et une nuisance constitutive d’un trouble anormal.
Le préjudice en soi supportable ne devient insupportable et donc réparable qu’au delà d’une certaine limite.
Il ressort du rapport d’expertise, notamment des photographies prises depuis la salle à manger, la cuisine, la chambre des époux X, des photographies prises depuis la maison des époux Y et tout particulièrement des vues de l’étage, soit le hublot du pallier et la fenêtre du dressing, que la construction de la maison des époux Y a effectivement entraîné la création de vues au détriment des époux X.
Mme D, cousine des époux X, indique "que ce soit de leur cuisine, de la salle à manger,de la terrasse ou du jardin , les deux fenêtres de l’étage sont omniprésentes. C’est comme un mirador avec deux fenêtres qui vous observent en permanence".
Elle indique que le mur d’enceinte ne protège pas de la vue sur le rez de chaussée, que leur intimité n’est plus préservée, qu’ils vivent très mal cette situation.
Mme E, collègue de travail, atteste en ces termes : "combien il était agréable d’avoir du jardin une vue dégagée sur la campagne mais c’est avec stupéfaction que nous avons vu cette nouvelle construction d’une hauteur imposante qui apportait un vis à vis dérangeant.
Mme X n’était plus la même, est devenue stressée, angoissée".
Mme F atteste qu’ils ont vue chez le voisin malgré le mur, la haie plantée, doublée de bambous. Elle indique que Mme X s’assoit de préférence, dos à la construction, qui est alors hors de sa vue.
Son époux l’a surprise à fermer le volet roulant de la baie vitrée sur un tiers de sa hauteur.
Elle ne peut donc plus jouir sereinement de son intérieur.
Elle précise que M. X, quant à lui se sent oppressé par l’omniprésence de la maison quand il travaille dans son jardin par exemple.
M. G atteste que les époux X ont quitté la vie parisienne pour un petit coin de campagne. Il a constaté une dégradation psychique et morale de ses voisins en relation avec la hauteur et l’aspect imposant du bâtiment voisin.
Les époux Y font valoir quant à eux que leurs voisins savaient lorsqu’ils ont acquis leur terrain que le terrain situé en face était un terrain à construire.
Ils rappellent que la gêne causée par les vues créées à l’étage doit être relativisée au regard de la destination des pièces, soit un palier, un dressing qui ne sont pas des lieux de vie.
Ils assurent que la non-conformité de l’immeuble est sans incidence réelle dans la mesure où elle impacte la toiture (la partie située au dessus des fenêtres).
Les pièces produites permettent de mesurer la différence de situation avant et après la construction des époux Y.
Les époux X avaient auparavant une vue sur la campagne.
En revanche, il est certain que cette vue était précaire puisque le terrain voisin était un terrain à bâtir.
Les époux X ont certes acquis dans un tout petit village, mais n’ont pas fait construire en pleine campagne dans un endroit isolé.
Le premier juge a rappelé que d’autres immeubles entouraient la propriété des époux X à une distance comparable.
S’il est certain que les voisins n’ont pas respecté les limites du permis de construire et du plan local d’urbanisme, il n’est pas démontré clairement par les époux X que cette transgression ait aggravé leur préjudice, est en tout cas sans incidence sur les vues crées au rez de chaussée.
Les vues créées à l’étage de l’immeuble des époux Y, si elles sont effectivement visibles de presque toutes les pièces de la propriété des époux X, restent discrètes et d’un inconvénient limité au regard de l’affectation des pièces qu’elles éclairent.
Les époux X soutenaient enfin que la construction des voisins avait réduit la valeur de leur immeuble au point qu’ils craignaient de ne pouvoir vendre.
Devant la cour, ils estiment que le prix de vente est très inférieur à ce qu’ils auraient pu obtenir si les voisins n’avaient pas construit, soutiennent que l’immeuble leur a coûté 308' 270 EUR.
Ils produisent une estimation de leur immeuble à une valeur de 210, 220' 000 EUR établie le 30 avril 2015, estimation qui n’est pas motivée et qui ne démontre pas que l’immeuble ait perdu de sa valeur depuis la création de l’immeuble voisin.
Ils se prévalent du témoignage de Mme C qui a visité l’immeuble et a écrit le 15 octobre 2017 : "Nous venons de la région parisienne où nous sommes en proximité forte du voisinage et il est hors de question de revivre la même chose dans ce délicieux village même s’il y a plus de distance, c’est très très dommage".
Force est de constater que les pièces produites par les époux X ne démontrent pas que la vente de leur immeuble à un prix inférieur au coût de sa construction, en tout cas à leurs expectatives soit en relation directe et certaine avec l’immeuble construit par leurs voisins.
Il résulte des éléments précités que le trouble de voisinage imputable aux époux Y existe, mais n’est pas d’une gravité suffisante pour justifier une indemnisation. L’équité justifie en outre que chaque partie conserve à sa charge les frais irrépétibles qu’elle a exposés en appel.
- Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 19 mai 2020, RG n° 18/00928