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Le 29 juin 2020

 

Mme V, acquéreur recherche la responsabilité du vendeur tant sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs que sur celui de la garantie des vices cachés.

Aux termes de l'article 1792 du code civil : «Tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination». Il ressort de l'article 1792-1, qu'est réputé constructeur «2° toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire». Il résulte enfin de l'article 1792-4-1 que l'action prévue par le texte précité se prescrit par dix ans à compter de la réception des travaux. Il sera enfin précisé que la clause d'exonération de la garantie des vices cachés est sans effet sur la garantie légale des constructeurs telle que prévue par les textes précités.

Il suffit de rappeler que la société de la Grande Place (venderesse à Mme V) a acquis l'immeuble litigieux suivant un acte authentique reçu le 9 novembre 2001 et a entrepris d'importants travaux (gros 'uvre, aménagements intérieurs, réseaux et fluides) pour transformer cette maison d'habitation en immeuble collectif de trois logements (chacun comprenant séjour, salle d'eau et deux chambres) avec parties communes. L'expert indique dans son rapport que ces travaux ont été effectués entre 2001 et 2008 sans plus d'éléments.

La société de la Grande Place n'apporte, dans le cadre de la présente instance, strictement aucune précision complémentaire sur la date de réalisation de ces travaux. Elle précise seulement qu'ils n'ont pas été effectués par son gérant, M. E, par ailleurs maçon, mais par des entreprises dont elle s'abstient, au demeurant, de communiquer les noms, les assurances, les marchés et les factures. Aucune autorisation d'urbanisme n'est produite, ni déclaration d'achèvement, ni de procès- verbal de réception des travaux. La société de la Grande Place et M. E. exposent certes dans leurs écritures que les appartements ainsi créés auraient été loués à la fin de l'année 2002 mais ils n'en justifient pas davantage.

Il résulte du rapport de l'expert judiciaire que lesdits travaux ont consisté en de très lourdes modifications de l'immeuble. Dans ce cadre, ont notamment été posées sur les deux parquets bois existants, dont elles ont été séparées par un isolant (polystyrène), des chapes de béton de 60 à 70 mm d'épaisseur avec armature, chaînage et treillis métallique, le tout recouvert d'un carrelage. En sous face des planchers ont été installés des faux plafonds avec isolant fixés aux solives (dont certaines ont été renforcées) grâce à des suspentes métalliques.

L'expert relève qu'aucun traitement n'avait été opéré lors des travaux initiaux sur les bois en place (planchers bois constitués de solives et de parquets) lesquels ne présentaient sans nul doute pas de désordre avant la mise en 'uvre des planchers béton.

Il est établi qu'en début d'année 2008, la présence de mérule a été détectée en partie Sud-Ouest de l'immeuble tant dans le plancher du premier étage que du second, et que deux traitements contre la mérule (suivis en 2009, juste avant la vente, d'un troisième contre les insectes xylophages) ont été mis en oeuvre par la société Breizh-Traitements (depuis liquidée) à la demande du propriétaire.

L'expert indique dans son rapport qu'à cette occasion, l'un des deux parquets (celui situé en dessous), dégradé par la mérule, a été partiellement déposé.

Cet immeuble a été cédé en février 2009 à Mme V qui a découvert, en septembre 2012, sur le doublage d'un mur la présence d'un champignon. Ayant pris contact avec une société spécialisée dans le traitement des parasites du bois, celle-ci lui a conseillé, face à l'ampleur des désordres, de faire établir un diagnostic. La société Alizé, mandatée dans ce cadre, a déposé le 31 octobre 2012 un rapport constatant «l'existence d'une infestation massive d'un champignon lignivore de type mérule Serpula Lacrymans dans l'immeuble, affectant notamment les façades Nord et Ouest du bâtiment», notant, fait rarissime selon l'expert, la présence en extérieur sur le pignon Nord-Ouest de l'immeuble d'un carpophore de mérule. Le diagnostiqueur précise en conclusions de son rapport que '"les dégradations observées trouvent leur origine dans l'existence d'une ancienne infestation par la mérule, mal ou insuffisamment traitée lors des années passées, et dans la réalisation d'un plancher béton sur solivage bois existant, qui a pu constituer un apport d'eau alimentant le parasite». Il a préconisé la réalisation, compte tenu de la fragilisation des appuis, d'un diagnostic de la résistance de la mécanique des bois et matériaux. M. Pierre D, ingénieur, a réalisé, en mars 2013, ce diagnostic à la demande de Mme V. Il conclut qu'il est indispensable de revoir l'intégralité des structures des planchers, soit en les renforçant soit en les remplaçant. Il estime qu'il y a un défaut de solidité lié à la présence de la mérule et menace de ruine. Il a notamment préconisé l'étaiement et l'évacuation du logement du rez-de-chaussée ainsi que la réalisation d'investigations complémentaires.

L'expert judiciaire, désigné à la demande de Mme V, a, dans son rapport, confirmé ce constat, relevant au sous sol et au rez-de-chaussée (planchers hauts), dans la partie Nord-Ouest du bâtiment une infestation majeure et en pleine activité de mérule (avec dégradations majeures des solives bois, Le sapiteur structure consulté par l'expert (BET Quilfen) retient que «la dalle béton d'épaisseur 7 cm ne peut être considérée comme porteuse dans le sens des solives (de mur à mur), son inertie étant nettement insuffisante pour équilibrer seule les charges qui lui sont appliquées. Entre solives, la dalle possède une inertie suffisante pour résister aux charges appliquées. Le poids de cette dalle et les surcharges associées sont directement transmises à la structure en bois massif. Dans l'hypothèse d'une conservation des dalles béton, il est impératif de faire procéder à une étude de sol et une reconnaissance des fondations existantes afin de déterminer si ces dernières sont en mesure de reprendre une surcharge d'environ 175 daN/m² par niveau. La structure en bois massif des planchers hauts RDC et R+1 est globalement sous dimensionnée vis à vis des normes et règlements en vigueur au moment des travaux de reprise des planchers. Il serait illusoire de vouloir conserver et/ou conforter la structure bois en place. Nous recommandons donc un remplacement de la structure actuelle par un solivage neuf en bois lamellé collé ou en lamibois ayant reçu un traitement de classe 2... La pénétration des éléments de structure bois est à proscrire. Le solivage sera repris par un lindier périphérique de classe d'emploi 4 scellé à la maçonnerie».

M. B estime que les planchers mis en oeuvre, non conventionnels, ont permis le développement de la mérule, les bois (solives et parquets) se trouvant confinés, sans ventilation dans un immeuble ancien présentant à cet égard des risques (immeuble pierres bois ayant une fissure infiltrante en pignon Nord Ouest).

L'expert note encore que les traitements de la mérule réalisés en 2008 ont été imparfaits et non conformes (protocoles référents non respectés), la société Breizh Traitements ayant accepté d'effectuer des traitements partiels répétitifs sans résoudre le problème fondamental et prioritaire à savoir le traitement de l'humidité, ni déposer les bois infectés, ce qui aurait remis en cause le principe constructif retenu par le maître de l'ouvrage.

Les désordres constatés par l'expert, qui résultent directement des travaux effectués sous la maîtrise d'ouvrage du vendeur, compromettent indiscutablement la solidité de l'ouvrage au sens de l'article 1792 du Code civil puisque, outre l'infestation par la mérule, la structure porteuse des planchers doit être intégralement reprise. Il suffit à cet égard de rappeler que, selon l'expert dont les conclusions ne sont pas discutées, ces désordres mettent l'immeuble en péril.

La société de la Grande Place, venderesse ayant réalisé ou fait réaliser des travaux, est assimilée, en droit, à un constructeur (article 1792-1 précité) et ne peut être exonérée, comme elle le prétend, de la garantie légale au seul motif que ces travaux n'ont pas été effectués par elle même mais dans le cadre de contrats d'entreprises confiés à des tiers (dont elle s'est gardée au demeurant de communiquer les identités). Par ailleurs, elle ne conteste pas la recevabilité de l'action de l'acquéreur pour avoir été introduite dans le délai de dix ans de la mise à disposition de l'immeuble après achèvement des travaux (à défaut de réception).

C'est dès lors à bon droit que Mme V. agit contre son vendeur sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs (et ce sans qu'il y ait lieu de statuer sur la garantie des vices cachés).

L'expert B a chiffré les travaux de reprises en fonction des deux hypothèses possibles, la première correspondant à un choix réparatoire (reconstitution des planchers porteurs sous les dalles béton actuelles) et la seconde à une reconstruction des planchers avec reprise de l'ensemble des lots techniques et des lots de finition. Le chiffrage de la première solution s'élève à la somme de 165'465 euros TTC (incluant le coût des travaux 144'000 euros TTC, de la maîtrise d'oeuvre 18.715 EUR TTC et celui des études 2.750 EUR TTC) et celui de la seconde solution à celle de 235.500 EUR TTC.

L'expert préconise la première solution qui permet d'éviter la destruction totale des intérieurs de l'immeuble et qui est techniquement fiable au regard des désordres. Cette solution a été retenue à bon droit par le premier juge mais ce dernier a omis de tenir, dans le chiffrage qu'il a retenu, du coût de la maîtrise d''uvre (laquelle est indispensable compte tenu de l'ampleur des travaux) et des études (dont le sapiteur a rappelé le caractère nécessaire...).

Mme V réclamant à titre principal une somme de 235.500 EUR pour les travaux de reprise (sans au demeurant préciser lesquels), il convient, tout en retenant la première solution, de lui allouer la somme de 165.465 EUR TTC qui correspond à la réparation intégrale des désordres telle que retenue par l'expert dans le cadre de la première solution. La décision de première instance sera donc infirmée quant au montant de la somme allouée.

S'agissant des préjudices annexes (préjudice de jouissance et préjudice locatif), Mme V sollicite, en premier lieu, une somme de 82.360 EUR correspondant au montant des loyers qu'elle n'a pas perçus, arrêté au 1er septembre 2020. Ce préjudice ne peut toutefois être égal à cette somme sauf à supposer que les deux appartements auraient été loués sans discontinuer pendant huit ans et sans travaux de rénovation par la bailleresse. Au regard de ces éléments, la somme allouée à Mme V sera limitée à 55.000 EUR.

Le jugement sera confirmé en ce qui concerne la réparation du préjudice moral lequel résulte des tracas auxquels l'intimé a été exposée, justement évalué à la somme de 4.000 EUR.

Référence: 

- Cour d'appel, Rennes, 1re chambre, 23 juin 2020, RG n° 19/04318