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Le 04 septembre 2020

 

C'est à ceux qui agissent en nullité pour cause d'insanité d'esprit de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte de vente

Par acte authentique en date du 28 février 2011 passé devant maître L., notaire à Saint Ouen, Mme M. a vendu à M. et Mme P. un bien immobilier en viager sis [...].

La vente a été conclue avec réserve de droit d'usage et d'habitation au profit du vendeur jusqu'au jour de son décès, moyennant un versement comptant en numéraire de 15.000 EUR et une rente viagère annuelle de 8.400 EUR, soit 700 EUR par mois.

Par décision du tribunal d'instance de Pontoise du 13 avril 2012, Mme M. a été placée sous tutelle et M. G. a été désigné pour représenter et administrer ses biens et sa personne.

Par acte du 5 juillet 2012, Mme M. et M G., en sa qualité de tuteur, ont assigné M. et Mme P. en nullité de la vente du 28 février 2011, et condamnation des acquéreurs à verser une indemnité d'immobilisation et expulsion.

Sur la demande d'annulation de la vente pour insanité, la Cour d'appel de Versailles a jugé comme suit :

M. G. et sa protégée se sont placés sur le seul fondement de l'article 414-1 du Code civil qui dispose que pour faire un acte valable il faut être sain d'esprit et que c'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte. La cour n'estime pas devoir proposer d'autre fondement juridique aux parties.

Il résulte des pièces produites par l'agence que Mme M. a pris contact avec cette dernière en juin 2010, la valeur du bien libre étant fixée à 260.000 EUR, selon mandat signé le 16 juin 2010. Mme M. a signé un avenant le 4 novembre 2010, ramenant cette valeur à 230.000 EUR. Elle a accepté l'offre de M. et Mme P. le 16 novembre 2010. La promesse de vente a été signée le 28 décembre 2010, et la vente a été réitérée le 28 février 2011.

Cette opération résulte ainsi d'une volonté de la venderesse qui s'est exprimée à compter de juin 2010, soit plus d'un an avant les premières manifestations cliniques de la maladie mentale diagnostiquée par la suite, étant rappelé que la réitération de lavente a eu lieu cinq mois avant ces dernières.

M. G. produit les éléments suivants :

- un certificat médical non daté du docteur H., rédigé en ces termes : "Je soussigné...certifie que lors de la vente en viager de sa maison, Mme M. m'a demandé de rédiger un certificat médical affirmant que son état cognitif lui permettait de réaliser cette vente. J'ai refusé de faire ce certificat car Mme M. présentait à cette époque des troubles des fonctions supérieures. Certificat fait à la demande du tuteur de Mme M.".

- le certificat médical circonstancié établi le 11 novembre 2011 dans le cadre de l'instruction de la demande d'ouverture de la tutelle, dont la substance peut être résumée comme suit:

Mme M. a été adressée à deux reprises fin juillet 2011 aux urgences de l'hôpital de Pontoise par son médecin traitant à la suite de la dégradation de son état général, consécutif au fait que, paralysée des deux jambes, elle avait cessé de se gérer. Devant la persistance de la désorientation temporo-spatiale, des troubles mnésiques et dysexécutifs, a été évoquée une maladie neuro-dégénérative de type Alzheimer. Elle est (à la date du certificat) à un stade modéré de sa maladie, par moment elle comprend ses impossibilités et échecs et accepte l'idée d'une entrée en établissement. La protection doit être limitée à 5 ans car elle est au début de la maladie. Elle a été placée sous sauvegarde de justice le 19 septembre 2011. Il est vital, compte tenu des conditions délétères dans lesquelles elle est arrivée aux urgences hospitalières, qu'elle soit représentée dans les actes de la vie civile, tant patrimoniaux qu'à caractère personnel.

Le certificat médical du 11 novembre 2011, établi plus de 8 mois après la dernière manifestation de volonté critiquée, et qui relate une maladie dégénérative débutante, ne peut suffire à établir l'absence de consentement valable lors de la vente.

L'attestation du médecin traitant ne peut conforter ce document. En effet, ce médecin indique bien avoir été sollicité par le tuteur, soit plus d'un an après et pour les besoins de la présente instance, et ne précise ni la date de ses constatations, ni la pathologie qu'il a alors suspectée, étant observé que l'on peut s'étonner que, redoutant que Mme M. ne se défasse d'une partie importante de son patrimoine sans être en mesure d'en mesurer les conséquences, ce médecin n'ait pas alors pris de mesure pour que sa patiente soit protégée.

En outre l'absence de consentement valable est contredite par le témoignage de Mme R., amie de Mme M., qui a assisté à toutes les étapes de la transaction, selon elle à la demande de Mme M., qui redoutait l'intrusion de sa propre famille, cette dernière étant d'ailleurs à l'origine de sa mise sous tutelle.

Les démarches pour parvenir à la vente ont été initiées dès juin 2010, soit à une date encore bien antérieure aux premiers éléments médicaux recueillis, et ont été menées sur une longue période de temps, excluant ainsi toute précipitation de la part de Mme M., dont rien ne permet, là encore, de considérer qu'elle n'était pas en mesure de prendre cette décision.

S'il est enfin vrai que, partie à la présente procédure, le notaire ne peut être considéré comme un témoin impartial, on ne peut cependant que relever que, se transportant auprès d'une personne pour recueillir un acte, ce dernier n'a pu qu'être particulièrement attentif à l'expression de la volonté de Mme M., et n'aurait probablement pas manqué de surseoir à la vente s'il avait eu un doute sur la réalité de son consentement.

La cour retiient en conséquence qu'aucune preuve suffisante de l'insanité d'esprit de Mme M., venderesse, au moment de la vente n'est rapportée.

Référence: 

- Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 27 avril 2017, RG n° 15/05515