L'article 843 du Code civil, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2007, énonce : "Tout héritier, même bénéficiaire, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément par préciput et hors part, ou avec dispense de rapport.".
Le tribunal a considéré que l'avantage résultant de l'occupation gratuite par Jean P. et sa famille d'une des deux maisons ayant appartenu aux époux P.-W., sise [...], du 3 octobre 1961 au 31 décembre 1998 ne pouvait être considéré comme constituant une donation indirecte, dès lors qu'il ne pouvait être exclu que Salomé et Albert P. aient souhaité bénéficier de la présence à proximité d'eux de celui de leurs fils qui avait repris l'exploitation familiale et de celle de sa famille et qu'il ne résultait de ce choix de vie aucun appauvrissement.
MM. Michel et Georges P. soutiennent que Jean et sa famille ont occupé gratuitement, pendant plus de 37 ans, une maison de 200 m² appartenant à leurs parents ce qui a incontestablement constitué un avantage pour Jean P., sans contrepartie pour les époux Albert et Salomé P. qui se sont corrélativement appauvris n'ayant pas perçu le loyer correspondant à ce bien, alors que les relations au sein de la famille n'étaient pas aussi harmonieuses que l'a retenu le tribunal. Ils évaluent cet avantage sur la base d'un loyer mensuel de 550 euros par mois à 245 850 euros. M. Michel P. fait valoir en outre qu'il convient de mettre en corrélation ce logement gratuit et l'absence de perception d'un salaire par Jean P. et que le tribunal ne pouvait rejeter ce chef de demande, tout en reconnaissant à ce dernier le droit à un salaire différé.
Mmes Catherine P. et Sophie P. approuvent quant à elles les motifs du jugement et soulignent que la preuve d'une intention libérale des époux P. n'est pas rapportée, ceux-ci ayant manifestement fait le choix de bénéficier de l'aide et de l'assistance de leur fils et de leur belle-fille. Elles prétendent en outre que la famille a vécu dans un logement de 30 m² dépourvu du confort moderne, sans eau courante ni chauffage, les toilettes et la salle d'eau se trouvant dans un autre bâtiment distant d'une dizaine de mètres de sorte que ce bien était dépourvu de valeur locative.
Si cette dernière affirmation apparaît en contradiction avec les conditions particulières du contrat d'assurance habitation souscrit par Jean P. à effet au 15 avril 1993, la cour ne peut néanmoins que constater que les parties ne versent, au soutien de leurs prétentions respectives, aucun élément de preuve permettant d'établir la consistance exacte de la maison sise au n° [...], voisine de celle sise au n° 16 de la même rue qui fut occupée par les époux P. -W. puis par Salomé W. au décès de son époux. L'extrait de l'acte du 24 février 1998 par lequel Salomé W. a fait donation à chacun de ses fils Georges et Michel P. de la moitié indivise des biens immobiliers sis [...] versé aux débats (pièce XVI-10 de l'appelant) ne contenant aucune précision à cet égard.
Il appartient à MM. Michel P. et Georges P., qui demandent le rapport à la succession de l'avantage ainsi consenti de rapporter la preuve d'un appauvrissement de leurs auteurs au bénéfice de leur frère et de l'intention libérale de ceux-ci. En l'état des éléments dont la cour dispose, il apparaît que les deux habitations constituent deux parties de l'ancien corps de ferme et qu'elles sont séparées par des bâtiments d'exploitation.
En l'état de la configuration des lieux, les différents bâtiments étant imbriqués en un ensemble unique, il n'est pas démontré que les époux P. -W. auraient pu aisément ni même souhaité louer à un tiers ce logement dont la consistance exacte n'est pas démontrée. Il est par ailleurs constant que, à tout le moins jusqu'à ce qu'il reprenne l'exploitation familiale, Jean P. n'a perçu aucun salaire, de sorte qu'il peut-être admis, comme le soutient l'appelant, que jusqu'en 1972, cette absence de rémunération avait partiellement pour contrepartie l'occupation gratuite par Jean et sa famille de la maison contigue à celle de ses parents.
Ultérieurement, cette occupation permettait aux époux P., comme l'a retenu le tribunal, de bénéficier de la présence et de l'assistance de leur fils et de leur belle-fille. Il résulte enfin des conditions particulières du contrat d'assurance souscrit par Jean P., que ce contrat couvrait également l'immeuble situé au 18 rue de l'école habité par ses parents, de sorte que manifestement il assumait également certaines charges liées à cet immeuble.
Par voie de conséquence, la preuve d'un appauvrissement et d'une intention libérale des défunts n'étant pas rapportée, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef.
- Cour d'appel de Colmar, 2e chambre civile, 29 octobre 2021, RG n° 18/05700