L'article 1792 du Code civil dispose que "tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître de l'ouvrage ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination".
La mise en oeuvre de la garantie décennale intervient alors dans trois séries d'hypothèses de dommages matériels à l'ouvrage construit :
- lorsque le dommage compromet la solidité de l'ouvrage.
- lorsque le dommage affectant l'un des éléments constitutifs de l'ouvrage ou l'un de ses éléments d'équipement le rend impropre à sa destination. Dans ce cas, le critère d'impropriété à destination doit être apprécié par rapport à l'ensemble de l'ouvrage au regard de la destination convenue à l'origine de la construction. L'impropriété à la destination de l'ouvrage peut être retenue, même en l'absence de dommage matériel à l'ouvrage et s'analyse notamment au regard de la dangerosité de l'immeuble ou de son inaptitude à remplir les fonctions auxquelles il était destiné.
- enfin, lorsque le dommage affecte la solidité d'un élément d'équipement indissociable des ouvrages de viabilité, de fondation, de clos et de couvert (Code civil, art. 1792-2).
Aux termes du rapport d'expertise judiciaire déposé en date du 20 novembre 2016, les pins âgés se trouvant sur la propriété de U E sont âgés de 30 ans et étaient présents avant la réalisation du lotissement entre 2004 et 2006.
Alors que le chemin d'accès en pierres calcaires créé pour le lotissement n'était pas étanche, ils ont sollicité de la société S.A.R.L. DELAVOIX la réalisation sur ce chemin d'un revêtement bi-couche en 2008.
Ces travaux ont induit la constitution d'une barrière semi-étanche, ce qui a provoqué une rétention d'humidité sous le chemin.
Or, en période sèche, les racines des pins recherchent naturellement l'humidité, ce qui provoque des déformations du chemin du fait du grossissement des racines qui passent sous celui-ci.
Il en résulte une déformation du chemin, tel que rappelé par l'expert et ainsi que le démontre les photographies versées aux débats.
La société S.A.R.L. DELAVOIX ne peut contester que les travaux qu'elle a réalisés, compte tenu de leur ampleur et de leur technicité particulière, constituent bien un ouvrage au sens de l'article 1792 du code civil.
Or, s'agissant de l'édification d'un chemin enrobé, un impératif de planéité s'impose au constructeur, cela sur la durée.
S'il n'est pas possible, selon l'expert, de dire si les racines avaient atteint le chemin en 2008, la société DELAVOIX ne pouvait ignorer la proximité de la présence des pins, déjà imposants, et se devait d'adapter sa technique professionnelle à cet environnement.
Il y a lieu de constater que la présence des déformations de l'ouvrage n'est pas contestable, ces déformations rendant l'ouvrage impropre à sa destination de circulation dans le respect de l'impératif de planéité du chemin.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a retenu l'engagement de la responsabilité de la société DELAVOIX au titre des dispositions de l'article 1792 du Code civil, la garantie décennale étant due.
S'agissant de la responsabilité de M. L, l'article 544 du code civil dispose que 'la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements'.
L'article 651 du même code précise que ' la loi assujettit les propriétaires à différentes obligations l'un à l'égard de l'autre, indépendamment de toute convention'.
En outre, l'article 673 du code civil dispose : "celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent.
Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative.
Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible."
Ainsi, le droit du propriétaire sera limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.
Les juges du fond apprécient souverainement en fonction des circonstances de temps et de lieu la limite de la normalité des troubles du voisinage et il appartient à celui qui s'en prévaut de démontrer le trouble subi.
En l'espèce, il est établi par le rapport d'expertise judiciaire que les racines des arbres, propriété de M. L, ont cherché l'humidité sous la barrière semi étanche que constitue l'ouvrage réalisé par la société S.A.R.L. DELAVOIX.
Par leur grossissement, elles ont alors induit la déformation de l'ouvrage, ce qui constitue un trouble anormal du voisinage, nonobstant l'antériorité de ces plantations.
La responsabilité délictuelle de M. L a été justement retenue par le tribunal, et le jugement doit être confirmé en ce qu'il a condamné in solidum la société S.A.R.L. DELAVOIX et M. L à réparation.
L'expert judiciaire a pu préconiser, aux termes de son analyse, que soit réalisée une barrière anti-racinaire sur la longueur du chemin d'accès, sans qu'il y ait lieu à distinguer l'espace de parking, puis un profilage sur la moitié de la largeur du chemin et une réfection du revêtement bicouche pour un coût total de 9.016,15 EUR.
Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu cette somme comme permettant la réparation des dommages constatés.
- Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 23 juin 2020, RG n° 18/02264