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Le 27 février 2020

 

Monsieur X et madame C épouse X exposent en substance que la responsabilité délictuelle du cabinet E A, géomètre expert, est engagée à leur encontre, en ce que le bornage amiable qu’il a réalisé à la demande de leur voisin, leur a causé directement plusieurs préjudices dont son assureur responsabilité professionnelle doit répondre, ce bornage n’ayant été réalisé ni de façon contradictoire, ni dans les règles de l’art, et comportant au surplus des erreurs substantielles amplement démontrées par la suite, dans le cadre de la procédure diligentée en parallèle, ayant donné lieu d’une part à l’annulation du procès-verbal de bornage des propriétés appartenant à monsieur Y et aux époux X, et d’autre part au dépôt de l’expertise judiciaire du 17 février 2019, tous deux ordonnés par l’arrêt définitif de la Cour d’appel de Paris du 17 mai 2018.

La société MMA IARD, assureur du professiobnel, réplique qu’aucune faute ne peut être reprochée au cabinet E A dans l’établissement du bornage amiable en question et conteste l’existence d’erreurs substantielles alléguées par les époux X ainsi que d’une quelconque faute de la part du géomètre expert. Elle soutient qu’en toute hypothèse, les préjudices invoqués par ces derniers ne sont pas démontrés et que le lien de causalité n’est pas établi.

Comme il l’a été rappelé ci-dessus, les époux X sont propriétaires d’un ensemble immobilier sis en Seine et Marne à Cannes Ecluses, desservi par un passage indivis avec le propriétaire de fond voisin monsieur Y. A la demande de monsieur Y un procès-verbal de bornage des deux propriétés a été établi par monsieur A, géomètre expert, membre de la société cabinet E A le 7 juillet 2009.

Ils sont ainsi tiers au contrat ayant lié monsieur Y au cabinet de géomètres-experts, ce qui n’est pas contesté, et sont ainsi fondés à rechercher la responsabilité professionnelle de ce cabinet pour les préjudices qu’ils estiment avoir subis de son fait, exclusivement sur le fondement de l’art. 1382 du Code civil, dans sa rédaction ici applicable, antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations, lequel dispose que 'Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer', dès lors que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement contractuel lorsque ce manquement lui a causé un dommage.

Il leur appartient ainsi, comme l’a exactement jugé le tribunal, de rapporter la preuve d’une faute commise par l’expert dans le cadre de l’établissement du bornage amiable et des préjudices résultant de cette faute.

Les époux X justifient en premier lieu avoir saisi le conseil régional de l’ordre des géomètres-experts d’une plainte relative aux conditions dans lesquelles ce bornage avait été réalisé par la société cabinet E A. Au vu du rapport d’enquête qu’il a fait diligenter, le conseil régional de cet ordre a certes estimé que la plainte n’était pas dénuée de fondement et l’a renvoyée devant la formation disciplinaire, laquelle a cependant dans sa séance du 23 décembre 2015 constaté que messieurs E et A avaient cessé leurs activités et n’étaient plus inscrits au tableau de l’ordre, et donc estimé qu’il n’y avait plus lieu de statuer sur cette plainte, de sorte qu’aucune conséquence juridique en terme de manquements aux obligations professionnelles de ce cabinet ne saurait être tirée, en l’absence de décision, à fortiori définitive, en ce sens.

En effet, ledit rapport d’enquête, confié à monsieur F, expert DPLG, désigné par le conseil régional de l’ordre à cette fin, produit en pièce n° 36 par les époux X, ne permet pas de pallier cette absence de décision, bien qu’il constate en pages 5 à 7 notamment que les collaborateurs du cabinet entendus, n’avaient pas 'apporté d’explication sur la méthode expertale qui avait été retenue pour motiver le choix des limites de propriété dont certaines étaient pourtant en contradiction avec les documents anciens, et que monsieur E avait déclaré être "dans l’impossibilité d’apporter une solution aux problèmes soulevés par les époux G" et "avoir jugé préférable de ne rien tenter au risque d’aggraver une situation déjà fort compliquée".

Les époux X justifient en second lieu que, par arrêt du 17 mai 2018, la Cour d’appel de Paris a prononcé la nullité du procès-verbal de bornage des propriétés appartenant à monsieur Y et aux époux X, réalisé par la société cabinet E A, géomètre expert, en date du 7 juillet 2009, et que la cour a, avant dire droit, ordonné une expertise à fin de bornage des propriétés Y (cadastrée C1640) et X (cadastrées C 476, C 1639, C 1995, C 1633 et C 1996), sises sur la commune de Cannes Ecluse (Seine et Marne).

Il résulte de cet arrêt, aujourd’hui définitif, que la cour a jugé que les opérations de bornage en question avait été réalisées de façon non contradictoire. En effet, deux plans différents avaient été versés aux débats, l’un daté du mois de juin 2009 et revêtu de la signature des parties, l’autre non signé, daté du mois de juillet suivant et annexé au procès-verbal. La cour a jugé que le plan daté du mois de juin 2009 était celui qui avait été soumis à la signature des époux X le 7 juillet suivant et qu’il ne correspondait pas à celui annexé au procès-verbal de bornage.

Le plan de bornage étant un élément substantiel des opérations de bornage litigieuse, la cour a estimé que les époux X démontraient l’erreur ayant vicié leur consentement, au sens de l’art. 1109 du Code civil dans sa rédaction alors applicable, justifiant ainsi de prononcer la nullité du procès-verbal de bornage.

C’est donc vainement que les MMA IARD maintiennent que ce procès-verbal de bornage est contradictoire au motif d’une part que les époux G l’ont signé, qu’ils ont accepté le plan, et qu’ils reconnaissent l’avoir lu et en avoir approuvé les termes et d’autre part que monsieur Y a, dans les écritures que ce dernier a déposé devant le tribunal d’instance de Z, confirmé le caractère contradictoire de ce bornage, le fait que les époux X n’aient jamais contesté le caractère contradictoire de ce bornage, ni devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Z, ni devant l’expert judiciaire monsieur H, ni ensuite dans le cadre de l’instance judiciaire ayant abouti au jugement rendu par le tribunal de grande instance de Z, et le fait que les observations des époux G sur l’emplacement des bandes anciennes auraient été reprises, étant inopérants pour remettre en cause la décision de la cour, définitive sur ce point.

Une telle nullité, prononcée dans les circonstances de l’espèce, caractérise un manquement du cabinet d’expert-géomètre à ses obligations contractuelles, le bornage amiable devant être réalisé dans le respect du contradictoire pour être valable, sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation concernant les notes de monsieur I et du cabinet BGAT rédigées à la demande des époux G, pour l’une le 11 mars 2013, et pour l’autre le 25 juillet 2013, soit après le jugement du tribunal de grande instance de Z ayant constaté les empiétements.

Les époux X soutiennent que le procès-verbal de bornage en question leur a été préjudiciable en ce qu’il a créé des empiétements sur leur fond, en invoquant le rapport déposé le 17 février 2019 par monsieur S D, expert judiciaire désigné à cette fin par la cour.

L’expert judiciaire, partant du plan du géomètre monsieur J de septembre 1970 note en page 96/140 de son rapport, produit en pièce n° 57 par les époux X, au sujet des "écarts relevés sur le bâtiment de M. Y" ce que suit :

… nous constatons que le bâtiment de M. Y empiète sur la cour commune de 8 cm au niveau de la porte et de 7 cm au niveau de l’angle Nord Ouest de l’habitation de M. Y (…)

Cet écart est confirmé au niveau de l’angle (D 18) par les sondages du sapiteur et la constatation par ce dernier de 6 cm 'tout a fait inhabituelle et contraire aux règles de l’art’ et l’écart de 6cm sur la cotation de la longueur du bâtiment de M Y (D 18) (E 23) (…).

A cet empiétement, il y aura lieu d’ajouter celui du débord de l’appui de fenêtre de 7 cm et celui de la toiture et gouttière de 31 cm'.

L’expert fait une proposition de définition des limites de la cour commune en pages 102 et 103 de son rapport qui, selon les époux G ne correspond pas avec ce que le cabinet E A avait retenu.

Enfin, s’agissant de proposer un plan de bornage des limites séparatives côté jardin, l’expert judiciaire indique en page 132 de son rapport ce que suit :

Nous proposons les limites suivantes :

Limite S – T = 24.08 m : S angle Nord – est de l’habitation de M. et Mme X et T Borne OGE

Limite T – U = 9, 10 m : T borne OGE et U l’angle Nord Ouest de la pillasse de M. et Mme X.

Limite U – V= 27,86 m U l’angle Nord – ouest de la pillasse de M. et Mme X et V limite à 20 cm du mur de M. Y et dans le prolongement du mur du poulailler de M. et Mme X (…)'.

Or, selon les époux G, sur le plan annexé au procès verbal de bornage du cabinet E A, qu’ils produisent en pièce n° 3, il avait été retenu une mesure de 24,17 m pour la limite S – T et 30,01 m pour la limite U – V, alors que monsieur D mesure respectivement 24,08 m et 27,86 m.

Les époux X en déduisent que le précédent expert, monsieur K a, en raison de ces erreurs, relevé à tort les empiétements du fond X sur le fond Y, alors que la réalité est toute autre.

Ils ajoutent que les limites séparatives côté jardin telles que proposées par monsieur D ne constituent au demeurant pas le seul cas de discordance entre le plan de monsieur D et le plan du cabinet E A, ayant été contraints de détruire en partie la construction en béton située au fond de leur propriété parce que le tribunal les a condamnés à la retirer de 5 cm en application du plan du cabinet E A.

Or, selon le plan établi par monsieur D en page 105 de son rapport, le poulailler est à 10 cm de la limite telle qu’elle est définie, de sorte que, s’il n’avait pas été retiré de 5 cm à la suite de la décision du tribunal précitée, il aurait été à 5 cm de la limite et donc toujours en retrait et non en empiétement sur la propriété de monsieur Y.

Ils en déduisent que c’est à tort qu’ils ont été contraints de détruire en partie leur poulailler et que la responsabilité professionnelle du mabinet E A est ainsi caractérisée.

Cependant, c’est à juste titre que les MMA IARD soutiennent que le bornage établi par le cabinet E A, à la demande de monsieur Y, a certes été définitivement annulé par la cour, mais qu’il n’est pas démontré qu’il aurait causé un préjudice direct aux époux X, permettant d’engager sa responsabilité professionnelle et donc d’ouvrir droit à l’indemnisation des divers préjudices allégués.

En effet, si le rapport de monsieur D a été produit dans le cadre de la présente instance, la cour observe que sa portée sera soumise à l’appréciation d’une autre formation dans le cadre de l’instance en bornage judiciaire diligentée en parallèle de la présente instance, opposant les époux X à monsieur Y, outre les éventuelles demandes de retrait d’empiétement qui peuvent en découler, de sorte qu’à ce stade procédural, sa portée, qui ne fait pas l’unanimité entre les parties, ne peut qu’être sujette à débat.

Au demeurant, comme le soulignent les MMA IARD, s’agissant des discordances entre les cotes figurant au plan E A et celles relevées par monsieur D dont arguent les époux X, il apparaît d’ores et déjà que :

—  les limite UT (cotée à 9.10) et AM (cotée à 10.88), établies par monsieur D sont apparemment similaires à celles établies par le cabinet E A (cotée à 9.10 et à 10.89) ;

—  la limite UV mesurée par monsieur D à 27.86 contre 30.01 par le cabinet E A ne paraît pas préjudiciable dans la mesure où la mesure UV réalisée par monsieur D s’arrête au nu du mur du poulailler de monsieur et madame X alors que la cote du cabinet E A a été prise jusqu’au mur de la remise.

La longueur linéaire totale de la limite de propriété relevée par le cabinet E A (30.01+5.83 = 35.84) est à deux millimètres prêt quasi identique à celle relevée par Monsieur D (27.86+2.16+5.84 = 35,86).

S’agissant de la limite TM, le relevé opéré par monsieur D semble suivre une présentation différente de celle du plan de bornage établi par le cabinet E A, l’expert judiciaire ayant établi une cote TS d’une longueur de 24.08 m, qui s’arrête au nu du mur pignon de la propriété de monsieur L alors que le cabinet E A a mesuré la limite jusqu’au garage.

Enfin, il ne ressort pas du rapport d’expertise établi par monsieur D, avec la certitude qui s’impose en la matière, que le poulailler en cause, qui n’est pas matérialisé sur la limite WA, n’aurait pas empiété autrement chez monsieur L, les époux X ne relevant aucune distorsion entre la cote relevée par le cabinet E A et celle retenue par monsieur D au niveau de la limite WA, ou de la limite UT.

En outre, il n’est nullement démontré que monsieur H, expert désigné en référé, se serait exclusivement fondé sur le bornage établi par le cabinet E A et que par conséquent l’intéressé serait à l’origine des empiétements sanctionnés par la suite au fond par le jugement du tribunal de grande instance de Z, rendu le 21 novembre 2012, celui-ci visant expressément le fait que monsieur Y agissait certes sur la base du procès-verbal de bornage établi par monsieur A et du rapport d’expertise ordonné en référé, mais aussi de divers procès-verbaux de constat d’huissier.

Il s’en déduit que, même s’il avait été fait application des limites établies par l’expert judiciaire, la démolition ordonnée aurait pu être également justifiée.

Sous ces réserves, il n’est en l’état pas démontré que la nullité du bornage prononcée le 17 mai 2018 remet nécessairement en question l’intégralité des décisions concernant les divers empiétements que le premier expert judiciaire a constaté.

De ce fait, les époux X ne peuvent qu’être déboutés de leurs demandes d’indemnisation sollicitées pour le préjudice matériel à hauteur de :

—  la somme de 160.000 EUR correspondant au prix de leur maison au motif qu’elle ne peut être vendue en raison de l’annulation du procès-verbal de bornage, qui n’avait d’ailleurs pas été publié aux hypothèques,

—  et de la somme de 69.715,37 EUR  au titre des frais se rapportant selon eux directement aux conséquences de l’erreur de bornage, à savoir : constat d’huissier de maître M du 23 octobre 2014 constatant les problèmes occasionnés par le retrait des empiétements, coût de reprise des dégradations consécutives au retrait des empiétements, coûts des diverses procédures judiciaires avec monsieur Y, de la procédure en annulation du bornage et en réalisation d’un bornage judiciaire, comprenant les frais d’avocat exposés en raison des procédures intentées par monsieur Y, frais d’huissier, frais cadastraux, de recommandés, factures BGAT du 6 février 2013 et du 27 juillet 2013, retrait/sortie de chaudière sur le mur côté courette de monsieur Y qui était un empiétement, coût de l’exécution des décisions de condamnations financières, et frais d’expertise.

Il en est de même pour la demande formulée à hauteur de la somme de 60.000 EUR au titre de leur préjudice moral.

Référence: 

- Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 5, 25 février 2020, RG n° 18/18658