Inscription à notre newsletter

Recevez toutes les informations importantes directement dans votre boite mail. Cliquez ici

Partager cette actualité
Le 09 avril 2020

 

Aux termes de l’art. L 145-14 du Code de commerce, l’indemnité d’éviction est destinée à permettre au locataire évincé de voir réparer l’entier préjudice résultant du défaut de renouvellement.

Il est usuel de mesurer les conséquences de l’éviction sur l’activité exercée afin de déterminer si cette dernière peut être déplacée sans perte importante de clientèle auquel cas l’indemnité d’éviction prend le caractère d’une indemnité de transfert ou si l’éviction entraînera la perte du fonds, ce qui confère alors à l’indemnité d’éviction une valeur de remplacement.

Les parties s’opposent sur la nature de l’indemnité d’éviction dont est redevable la bailleresse envers la société locataire, la bailleresse soutenant qu’il s’agit d’une indemnité de transfert, qu’elle a d’ailleurs proposé à la société locataire des locaux dans lesquels celle-ci pouvait transférer son activité, la société locataire, soutient qu’il ne peut s’agir que d’une indemnité pour la perte de son fonds de commerce, aucun des locaux proposés par la bailleresse n’étant satisfactoire.

L'art. L.145-14 du code de commerce fait reposer sur le bailleur la charge de la preuve que le préjudice subi par le preneur évincé serait moindre que la valeur du fonds de commerce.

L’expert Z B, après avoir indiqué dans son pré-rapport que le bailleur n’ayant pas fourni de local d’accueil sur l’Ile Saint Louis, il était assuré qu’un relogement ailleurs causerait une perte importe de clientèle et indiqué que l’indemnité d’éviction pour perte de fonds s’élevait à la somme de 400.000 euros, a dans son rapport définitif, indiqué que la bailleresse avait communiqué une possibilité de relogement dans un local, peu différent, […], ce qui permettait à la société évincée de se réinstaller sans perte de clientèle et que dès lors, l’indemnité devait prendre la forme d’une indemnité de transfert, laquelle s’élevait à la somme de 60.000 euros.

L’expert indique dans son rapport, que les locaux dont s’agit sont situés rue Boutarel, sur l’Ile Saint Louis ;que […] est une petite voie de circulation à sens unique située au nord ouest (en fait sud ouest) de l’île vers le Pont Saint Louis en l’Ile ; qu’elle débute quai d’Orléans pour se terminer rue Saint Louis en l’Ile ; qu’il s’agit d’une voie secondaire, dédiée essentiellement à l’usage résidentiel et que le commerce dont s’agit est quasiment le seul commerce de la rue, celle-ci étant sans chaland.

L’expert relève que l''agence Saint-Louis en l’Ile’ exerce des activités immobilières telles que la transaction immobilière et la gestion locative destinée à une clientèle de particuliers français (90%) et internationaux (10%), une clientèle principale de propriétaires de l’Ile Saint Louis ; que l’essentiel du chiffre d’affaires de l’agence est réalisé à 80% dans l’administration de biens réalisés sur l’île ; qu’en effet, sur 150 lots en gestion seulement 10 lots sont extérieurs à l’Ile Saint Louis.; que l’agence a une clientèle de particuliers et procède à peu de vente hors de sa clientèle.

L’expert judiciaire en a déduit à que si cette agence quittait l’île, compte tenu de sa faible zone de chalandise, limitée à l’Ile Saint Louis, il est vraisemblable qu’elle perdrait le sens de son nom et une partie de sa clientèle qui habite l’Ile Saint Louis; que dès lors, pour rester sur l’Ile, elle n’a d’autre choix que d’acquérir un droit au bail d’un concurrent ou d’un autre commerce, lesquels sont peu nombreux sur l’île et sur les rues adjacentes à la rue Saint Louis en l’Ile. Il lui est donc paru pertinent d’évaluer le coût d’acquisition d’un autre titre locatif impérativement sur l’Ile, le transfert étant possible au vu de la petite surface en cause et du caractère intuitu personae de la clientèle.

La société locataire soutient que l’intuitu personae est certain mais que sa localisation est déterminante, selon elle les critères habituels en matière de chalandises ne s’appliquent pas en ce qui la concerne, que sa clientèle tient à une forme de confidentialité quand elle est reçue, de sorte que sa localisation dans une rue sans autre commerce, calme et résidentielle, proche de l’Ile de la Cité est valorisante ; qu’il serait naïf d’imaginer que ce type de clientèle puisse se rendre sur place pour la première fois parce qu’elle est passée devant une vitrine attrayante.

La bailleresse a indiqué qu’une boutique, sise […], pourrait permettre à la société locataire de réinstaller, ce qu’a admis l’expert. L’expert judiciaire a noté en page 34 de son rapport que la rue Le Regrattier était 'plutôt plus chic, mais tout aussi ou encore légèrement plus morne commercialement que […]'. Dans une réponse à un dire de la société locataire , qui mettait en évidence une succession d’échecs d’exploitation dans cette rue et dans ce local, l’expert judiciaire a répondu que cette succession d’échecs était liée au défaut de passage, mais n’était pas rédhibitoire pour l’Agence de l’Ile qui apportait sa propre clientèle et ne travaillait que pas ou peu avec le passage.

Devant les premiers juges la société locataire a indiqué qu’en fait les locaux du […] n’étaient plus proposés à la location, ce qu’ont admis les premiers juges. En cause d’appel, la bailleresse conteste ce fait et soutient qu’en mai 2018, ils étaient à nouveau proposés à la location. La société locataire s’abstient de répondre sur ce point.

La cour relève qu’il ressort d’une capture d’écran du site Google map datée de mai 2018, que sur le commerce situé […] était apposé une affichette indiquant "A LOUER" suivi d’un numéro de téléphone fixe. Il s’agit des locaux pour lesquels l’expert judiciaire avait indiqué qu’ils correspondaient à des locaux équivalents pouvant convenir à une réinstallation de la société locataire.

[…], immédiatement parallèle à […], est située à proximité immédiate des locaux délaissés. Il n’est pas sérieux de prétendre que la clientèle de la société locataire ne la suivrait pas dans ces nouveaux locaux, alors même que tous s’accordent à souligner l’importance de la personnalité du gestionnaire dans le choix de lui confier un mandat, que l’activité de l’agence est à 80% celle d’un administrateur de biens et que l’expert souligne que la rue Le Regrattier serait même plus chic que la rue délaissée ce qui devrait convenir à la clientèle de l’agence.

Dans ces conditions, la preuve est suffisamment rapportée par la bailleresse que la société locataire peut bénéficier d’un local correspondant aux préconisations de l’expert judiciaire, dans lequel elle peut transférer ses activités, sans perte de son fonds de commerce. Cette possibilité qui avait été constatée par l’expert, puis avait disparu compte tenu du retrait de la mise en location du bien, a existé à nouveau alors que l’affaire était pendante devant la cour d’appel, ainsi que l’établit la bailleresse, si bien que la société locataire pouvait y transférer ses activités.

Dans ces conditions, la société locataire ne peut bénéficier que d’une indemnité de transfert, qui est égale à la valeur du droit au bail.

Référence: 

- Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 6 novembre 2019, RG n° 17/21404