Les époux Z et Mme B invoquent tout d’abord l’existence d’une servitude conventionnelle de passage par titres et subsidiairement la constitution de la servitude par destination du père de famille rappelant que la parcelle litigieuse D474 provient de la division d’un seul et unique fond à l’origine à savoir une parcelle D52.
M. C et M. D contestent qu’il résulterait des différents titres la démonstration de l’existence d’une servitude conventionnelle. De même, ils soutiennent que les conditions d’acquisition de la servitude par destination du père de famille ne sont nullement établies.
Une servitude conventionnelle, droit réel immobilier, est une charge consentie par le propriétaire du fonds servant pour l’usage et l’utilité du fonds dominant ainsi que cela résulte des dispositions de l’article 637 du Code civil. L’établissement des servitudes conventionnelles, les modifications qu’elles peuvent ultérieurement subir, ainsi que celles qui, éventuellement, seraient apportées aux servitudes naturelles et aux servitudes légales d’intérêt privé trouvent leur source : en un titre ou dans la prescription ou encore dans la destination du père de famille.
L’article 692 du Code civil dispose que la destination du père de famille vaut titre à l’égard des servitudes continues et apparentes.
L’article 693 du Code civil précise qu’il n’y a destination du père famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds divisés ont appartenu au même propriétaire et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude.
Enfin l’article 694 stipule que si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l’un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d’exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné.
La destination de père de famille se caractérise ainsi par l’intervention d’un propriétaire, d’un bien immobilier, qui pour favoriser sa destination, aménage les parties de ce bien situé sur un fonds unique ou aménage ce fonds ou une partie de celui-ci à l’usage ou à l’utilité d’un autre fonds lui appartenant ou d’une partie de cet autre fonds, de telle sorte que l’aménagement existant entre eux résultant de l’exercice du droit de propriété, devient lors de la division par l’effet de la loi et sous certaines conditions, une servitude.
Ainsi plusieurs conditions doivent être réunies pour que l’existence d’une servitude par destination du père de famille soit reconnue à savoir:
— identité de propriétaire : il doit être prouvé que les deux fonds actuellement séparés ont appartenu initialement au même propriétaire sans qu’il soit exigé que ces deux fonds aient toujours été distincts.
— auteur de l’aménagement : il doit être établi que c’est par ce propriétaire ou par son auteur que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude.
— maintien de l’aménagement lors de la division : il faut que l’aménagement constitutif de la servitude prétendue ait encore existé au moment de la division des fonds et ait été maintenu.
— absence de volonté contraire : il faut, enfin, que ne se soit pas manifestée, expressément ou tacitement, aucune volonté contraire à la présomption légale de constitution de servitude attachée à l’état de fait observé. Il n’y a servitudeque si, de l’état de fait créé par l’auteur commun, résulte l’intention de celui-ci d’assujettir définitivement une parcelle ou une partie d’un fonds à un service au profit d’une autre parcelle ou partie d’un même fonds.
En l’espèce, il est établi et non contesté que les différentes parcelles, propriétés aujourd’hui de M. et Mme Z, de Mme B et de Messieurs C et D dont la parcelle litigieuse D474, appartenaient à un seul et même auteur, les consorts E, et constituaient la parcelle D52 sur laquelle se trouvait une cour desservant l’ensemble des bâtiments et parcelles jusqu’à leur première division les 20 et 25 septembre 1958 en deux parcelles D402(M. Y) et D403( M. F).
Il convient de relever que dans cet acte des 20 et 25 septembre 1958 concernant la vente au profit de M. Y, il était mentionné s’agissant de la parcelle 402 notamment une "cour devant grevée de divers droits de passage".
Cette parcelle 402 a par la suite été à nouveau divisée pour constituer les parcelles actuelles D474 (parcelle litigieuse propriété actuelle de M. C et M. D) et la parcelle D475 (propriété actuelle de Mme B).
Dans l’acte de vente du 3 mars 1979, les consorts Y ont vendu aux époux X les parcelles D49, D50, D449 et la parcelle D474,objet du présent litige. Cet acte précisait au chapitre SERVITUDES que la parcelle cadastrée D474 représentant la cour est grevée de divers droits de passage et qu’en conséquence, la cour ne doit en aucun cas être clôturée par l’ACQUEREUR.
Par acte notarié en date du 24 octobre 1992, les époux A ont acquis la parcelle D403 et D54 de M. G venant aux droits de son père. Cet acte précisait dans la désignation des biens vendus l’existence d’une petite cour sur le devant grevée de divers droits de passage.
Par acte en date du 12 décembre 2006, les époux A ont vendu à M. et Mme Z les parcelles D515, D 516 et D54 avec la mention suivante : Etant observé que dans l’acte de vente de Monsieur Q F au profit de Monsieur et Madame A-R, du 24 octobre 1992, ci après rapporté, il a été stipulé ce qui suit littéralement rapporté :
"Les immeubles vendus bénéficient apparemment, et sans que cela ne soit constaté dans les actes, de droits de passage sur divers pour rejoindre la voie publique, et qu’en contre-partie et de la même manière, ils supporteront au profit de divers, des droits de passage leur permettant de rejoindre cette même voie publique."
Enfin par acte du 10 septembre 2012, les époux X ont vendu à M. C et M. D les parcelles D 48, D 49, D 50, D449 et D474. Cet acte fait référence (page 21) à l’existence d’un litige avec les propriétaires voisins concernant des droits de passage pouvant grever les parcelles objets de la vente. Au chapitre SERVITUDES, il est mentionné: Aux termes d’un acte reçu par Me GAVID notaire à Saint-Savin le 3 mars 1979, il a été mentionné ce qui suit littéralement rapporté : "Il est fait observer que la parcelle cadastrée D474 représentant la cour est grevée de divers droits de passage et qu’en conséquence, la cour ne doit en aucun cas être clôturée par l’ACQUEREUR".
Il ressort de l’examen de l’ensemble de ces actes que le propriétaire initial a eu la volonté d’établir une servitude de passage sur la cour à savoir la parcelle D 474 au profit de l’ensemble des bâtiments entourant cette cour. L’aménagement des lieux montre clairement l’existence d’une servitudeapparente. Cette servitude est née de la séparation des fonds en vertu de la destination du père de famille, l’acte de division ne contenant aucune convention contraire à la servitude mais bien au contraire mentionnant la nécessité de ne pas clôturée la cour pour permettre les différents droits de passage. S’agissant d’une servitude conventionnelle, il importe peu que les bénéficiaires de cette servitude ne soient pas enclavés ou qu’ils bénéficient d’un accès à la voie publique.
Sur l’assiette de cette servitude, il convient de relever qu’en interdisant que la cour litigieuse puisse être clôturée, le propriétaire initial a entendu permettre un libre accès à l’ensemble des parcelles entourant cette cour. Au surplus, il ressort de nombreuses attestations que la cour était utilisée depuis plus de trente ans pour desservir la propriété des époux Z tant à pied qu’en voiture.
En conséquence, en application des dispositions de l’article 701 du code civil, messieurs C et D ne peuvent rien faire qui tende à diminuer l’usage ou rendre plus incommode la servitude.
Il y a lieu de condamner M. C et M. D à supprimer le portail et ses piliers ainsi que les blocs de O posés en limite de la parcelle D474 qui empêchent l’exercice normal de la servitude conventionnelle.
Les époux Z et Mme B demandent une mesure d’astreinte de 100 EUR par jour de retard.
Il convient de faire droit à cette demande et en conséquence de prononcer une astreinte provisoire de 50 EUR par jour de retard passé un délai de six mois après la signification du présent arrêt et pour une durée de six mois.
Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande de Mme B visant à voir ordonner la démolition du pilier sud et la suppression des blocs de O en raison d’un empiétement sur sa propriété.
L’impossibilité pour les époux Z et Mme B de pouvoir utiliser la servitude de passage sur la parcelle D 474 a généré un préjudice certain qu’il convient d’évaluer à la somme de 1.000 euros pour Mme B et 1.000 euros pour M. et Mme Z.
- Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 25 juin 2020, RG n° 19/05085