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Le 02 juin 2021

 

Par acte sous seing privé en date du 2 décembre 1983, monsieur Emile G., monsieur François G. et madame Laure C. veuve G. ont donné à bail à la SARL Janssy un local situé à [...].

 

Par acte sous seing privé du 23 décembre l985, la SARL Janssy a cédé à monsieur Sepon K. et monsieur Zareh M. son fonds de commerce. La cession a été signifiée au bailleur le 14 avril 1986.

Le 2 janvier 1998, monsieur Sepon K. a déclaré céder son fonds de commerce à son épouse, les formalités liées à cette opération ayant été réalisées par maître Patrice G., avocat.

Selon un acte établi le 5 septembre 2003, par maître Renaud A., notaire, madame K. a cédé sa moitié indivise de ce fonds à son fils Hayk K..

Par acte du 15 décembre 2008, le bailleur a assigné monsieur Sepon K., monsieur Hayk K. et monsieur Zareh M. en résiliation du bail à leurs torts exclusifs, leur reprochant notamment une transmission de droits indivis portant sur un fonds de commerce entre époux séparés de biens, assimilée à une cession, sans obtention de l'agrérnent préalable et exprès du bailleur et la donation de droits indivis portant sur le fond de commerce en contravention également avec la clause du bail afférente à la cession, ainsi que des infractions aux clauses du bail.

Par jugement rendu le 14 octobre 2010, le Tribunal de grande instance de Nice, a prononcé la résiliation du bail, pour défaut de signification au bailleur de la cession du fonds de commerce.

Par arrét du 30 janvier 2014, la Cour d'appel d'Aix en Provence a confirmé cette décision.

Monsieur Sepon K., monsieur Hayk K. et monsieur Zareh M. reprochent à maitre A., notaire et maître G.,avocat, étant intervenus dans le processus de cession d'activíté, des manquements à leurs obligations professionnelles et réclament la réparation du préjudice subi du fait de la résiliation du bail.

Sur la prescription

Selon l'article 2224 du Code Civil, dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008, entrée en vigueur le 19 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Le dommage résultant d'une condamnation n'est connu de manière certaine qu'à compter de la décision de condamnation devenue définitive et non à compter de l'assignation en justice où il n'est encore qu'hypothétique.

En l'espèce le dommage résultant de la résiliation du bail commercial dont monsieur Sepon K., monsieur Hayk K. et monsieur Zareh M. étaient titulaires n'a été connu pour les demandeurs de manière certaine qu'à la date du prononcé de l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 30 janvier 2014.

L'action engagée par actes d'huissier de justice des 3 et 4 novembre 2014 n'est donc pas prescrite.

Elle doit, en conséquence, être déclarée recevable.

Sur les responsabilités

L'arrêt rendu par la cour d'appel d'Aix-en-Provence le 30 janvier 2014 dispose clairement que:

« La transmission de droits indivis entre époux séparés de bien s'analyse en une opération revenant à transférer à titre onéreux ou gratuit le contrat de bail à un tiers.

La mention manuscrite inscrite au registre du commerce et des Sociétés de transmission entre époux séparés de biens s'interprète, en conséquence, à l'égard du bailleur, comme une cession pure et simple de fonds qui exigeait de ce fait l'accord de Madame G., épouse G., absent en l'espèce. »

La cour a par ailleurs relevé que si les époux K. ont invoqué le bénéfice de l'article 8 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 leur permettant d'opter pour l'application de la loi française de la communauté légale, ce changement ne pouvait avoir d'effet que 10 ans après leur entrée en France, soit à partir de l'année 1996. Il en résulte qu'à la date de l'acquisition du fonds de commerce en 1985, ils étaient mariés sous le régime turc de la séparation de biens.

Il incombait à l'avocat chargé de l'opération de vérifier la situation juridique de la cession de parts du fonds de commerce et d'en informer la propriétaire conformément aux termes du bail commercial 23 décembre 1985.

L'arrêt poursuit en précisant que la donation par Madame Haygus K. à son fils Hayk, qui s'assimile à une cession, se heurte à la même absence d'accord du bailleur qui ne peut être régularisé postérieurement par la notification qui lui en a été faite par acte d'huissier de justice en date du 3 février 2009.

Le notaire aurait dû de même consulter les clauses du bail initial, sans se contenter de l'avenant que les appelants lui auraient seul produit et immédiatement informer la propriétaire, madame G. épouse G., de cette cession, comme l'exigeaient les stipulations du bail commercial en cours.

Maître Patrice G. et maître Richard A. ont, ainsi chacun commis une faute professionnelle de nature à engager leur responsabilité civile délictuelle.

En page 7 de sa décision du 30 janvier 2014, la cour d'appel, saisie d'une demande de résiliation du bail commercial retient les motifs suivants : « dès lors deux cessions du fonds de commerce sont intervenues sans avoir obtenu au préalable l'accord écrit du bailleur, cession constitutive d'une infraction aux clauses contractuelles du bail et qui fondent la demande de prononcé de la résiliation du bail aux torts du preneur formée par Jeanine G. épouse G., l'infraction n'étant pas régularisable et s'étant produite de façon réitérée ».

Il apparaît ainsi que la résiliation du bail est intervenue du fait des fautes cumulatives imputables, d'une part à l'avocat ayant procédé à la cession du fonds de commerce par monsieur Sepon K., à son épouse en 1998 et d'autre part, au notaire ayant effectué la donation par cette dernière à son fils Monsieur Hayk K. de la moitié indivise de ce fonds.

Maître A. n'est donc pas fondé à invoquer l'antériorité de la faute, ni le fait que la résiliation serait intervenue du seul manquement de l'avocat ayant procédé à la première cession, dès lors que la cour d'appel a précisément motivé sa décision sur la réitération des fautes.

Il en résulte que le lien de causalité direct entre la faute de chacun des professionnels du droit intervenus dans les cessions litigieuses et le prejudice allégué est établie de manière certaine.

Sur l'indemnisation

L'indemnisation de la perte du fonds de commerce doit être appréciée, non pas à la date de la commission des fautes, mais à celle de la réalisation du dommage, intervenu en l'espèce par la décision rendue par la cour d'appel le 30 janvier 2014.

Les appelants produisent à l'appui de leur demande d'indemnisation de la perte du fonds de commerce, le rapport d'expertise établi le 4 mai 2012 par monsieur Jérôme B., expert près la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui a pris en compte essentiellement la valeur du droit au bail, après visite des lieux, le calcul de la surface réelle et pondérée, l'analyse de l'emplacement et de la situation à l'angle de deux rues très commerçantes de la ville de Nice, dans lesquelles sont implantées de nombreuses grandes enseignes telles que Monoprix, Fnac, Séphora, Zara, Minelli, Armand T. et le centre commercial Nice Étoile, à proximité de plusieurs parkings publics, qualifiant l'emplacement comme bénéficiant d'une excellente commercialité.

L'indemnité d'éviction a été calculée à partir du chiffre d'affaires des années 2008 à 2010, ainsi que du barème Lefebvre, en l'espèce pour les commerces de fleurs, habituellement retenu par les experts et les tribunaux, ainsi qu'au moyen de la méthode par capacité d'autofinancement.

La valeur du droit au bail a été déterminée à partir d'éléments de comparaison concernant des locaux commerciaux situés sur la même artère.

Maître Patrice G. et maître Richard A. n'apportent aucune critique, sur la méthodologie employée par l'expert, se bornant à douter de l'augmentation de valeur d'un fonds de commerce entre la donation intervenue en 2003 et l'année 2012, dans un contexte de crise économique.

Il y a donc lieu de fixer l'indemnisation de la perte du fonds de commerce à la somme de 280'000 EUR, selon le calcul de l'indemnité d'éviction établi par l'expert et de condamner in solidum maître Patrice G. et maître Richard A. au paiement de cette somme.

Il résulte d'un courrier adressé à maître A. le 29 avril 2014 par le conseil des appelants que ces derniers ont du prendre en charge ses honoraires, dans le cas de la procédure en résiliation du bail devant le tribunal puis devant la cour d'appel, à concurrence de 8242,40 euros, outre 1500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La demande en remboursement de frais à concurrence de la somme de 9'000 EUR apparaît donc fondée.

Monsieur Hayk K. et onsieur Zareh M. ne produisent à l'appui de leur demande d'indemnisation d'une perte de revenus sur trois années aucun élément sur leur situation professionnelle, ni sur leurs revenus dans les années qui ont suivi la résiliation du bail commercial par décision judiciaire. Dans ces conditions il n'est pas possible de faire droit à celle-ci.

En l'absence de justificatifs, les demandes formées au titre du préjudice moral sont également rejetées.

Le jugement est infirmé

Référence: 

- Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 1-1, 11 mai 2021, RG n° 18/16771