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Le 28 mai 2022


En application de l’article 544 du code civil, le droit pour un propriétaire de jouir de sa chose de manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, a pour limite l’obligation de ne causer à la propriété d’autrui aucun dommage dépassant les inconvénients normaux du voisinage.

L’anormalité des inconvénients du voisinage s’apprécie in concreto notamment au regard de l’environnement du bien.

A cet égard, les autorisations d’urbanisme sont toujours accordées sous réserve des droits des tiers et le fait qu’une construction soit conforme aux plans annexés au permis de construire et aux prescriptions du document d’urbanisme applicable ne constitue pas une autorisation de troubler anormalement la propriété du voisin et n’exclut pas toute indemnisation des préjudices qui en résulteraient.

Inversement, le fait qu’une construction ne respecte pas les termes d’une autorisation administrative n’implique pas nécessairement qu’elle cause un trouble anormal du voisinage.

En effet, si devant les tribunaux de l’ordre judiciaire, les particuliers peuvent invoquer la violation de règlements administratifs, instituant des charges d’urbanisme ou des servitudes d’urbanisme, c’est à la condition de prouver l’existence d’un préjudice personnel et direct qui en résulte et qui seul caractérise l’usage abusif du droit de propriété au détriment d’autrui.

En l’espèce, les consorts X se plaignent d’un trouble anormal du voisinage occasionné par la construction voisine des époux Y à l’origine d’un déchaussement des fondations de leur maison, d’une perte d’ensoleillement et de vue et d’une perte de valeur de leur bien.

- Sur l’existence d’un trouble anormal du voisinage tenant au déchaussement de l’immeuble du fait de la construction litigieuse:

C’est de manière pertinente que le tribunal a rejeté cette demande au motif que les constations de l’huissier de justice, non contradictoires et établies par un officier ne disposant pas de compétences techniques, ne sont pas de nature à démontrer que les travaux de M. et Mme Y sont, par la construction qu’ils ont entreprise, à l’origine des dommages allégués et que pas davantage les clichés photographiques produits n’étaient de nature à caractériser un lien de causalité entre les travaux entrepris par les époux Y et les désordres, pour lesquels d’ailleurs il faut le souligner, aucun diagnostic technique utile n’était posé.

En l’absence de tout autre élément de preuve versé aux débats devant la cour, le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté les consorts X de leur demande d’indemnisation de ce chef.

- Sur l’existence de troubles anormaux du voisinage pour perte d’ensoleillement, perte de vue et perte de valeur du bien:

Pour dédommager les consorts X d’un trouble anormal de voisinage à hauteur de 25.000 EUR, le tribunal a considéré au contraire que la construction de M. et Mme Y, haute et imposante, entrave considérablement la vue des consorts X sur la droite en direction du lac, le remplacement du grillage de clôture par un mur maçonné surplombé de planches amplifiant cette perte de perspective en réduisant le champ de vision depuis la villa des consorts X. Il a ajouté qu’en raison même de son volume et de son aspect monolothique, cette construction génère une perte sensible de luminosité et d’ensoleillement d’autant plus sensible qu’il s’agit d’un secteur à vocation de villégiature.

Il a été posé que l’autorisation de construire donnée aux époux Y, y compris le visa de l’AFB, ne suffisait pas à exclure tout trouble anormal de voisinage et qu’inversement le non respect des règles et contraintes d’urbanisme ne suffisait à caractériser un trouble anormal de voisinage.

Si le droit à la vue ou à l’ensoleillement n’est pas immuable dans des zones fortement urbanisées, il n’est pas contesté que la construction en litige se situe en zone UCa du plan local d’urbanisme conformément au permis de construire accordé.

Or, il résulte du plan local d’urbanisme de la commune de Lacanau qu’il s’agit d’une zone urbaine, mais (zone UC) définie comme 'une zone de maison individuelles de faible dimension à vocation principale d’habitat qui ont été réalisées dans le cadre de lotissements anciens à Lacanau Océan , ou concessions communales, en rives du Lac et sous couvert boisé, à forte valeur paysagère', que 'le règlement vise à en préserver l’aspect tout en permettant leur évolution mesurée et adaptée au cadre paysager environnant.'

De cette définition il s’évince que dans ladite zone les constructions doivent se fondre dans l’environnement lequel n’est pas appelé à fondre sous les constructions.

Les dites constructions sont situées en bord de Lac 'en première ligne’ et les prescriptions de la zone UCa imposent notamment des contingences de construction en limite séparative, les constructions devant être implantées avec un retrait de 2.50 m et l’implantation en limite n’est autorisée que sur une limite de nature à conserver des fenêtres de vues depuis et vers le lac. De même, l’emprise au sol est limitée à 60% de la surface du terrain (page 36) et pour les toitures en pente, la hauteur maximale des constructions est à 5.20 mètres au faîtage […].

Il s’agit précisément de prescriptions réglementaires dont le non- respect est de nature à participer d’un préjudice de perte de vue ou d’ensoleillement pour le voisinage.

Or, il n’est pas utilement contesté, ainsi que résultant du constat d’huissier versé aux débats par les consorts X, que la construction des époux Y ne respecte pas ces prescriptions et qu’un permis de construire modificatif a été accordé notamment pour une maison de 6m80 eu faîtage.

Ainsi il est constant que les époux Y ont fait démolir une construction de plain-pied modeste, assez similaire à celle des consorts X, pour faire édifier une maison de 6m80 implantée cependant à la même distance réglementaire de 2m50, lui conférant effectivement un aspect massif et imposant, alors que le tribunal a justement observé que les consorts X étaient propriétaires d’une maison dont l’attrait principal tenait précisément à sa situation panoramique rare.

Les époux Y affirment que les maisons environnantes ne sont pas toutes de plain-pied et qu’il existe des maisons à étage situées en première ligne du lac et de styles différents .

Cependant le cliché 'satellite’ qu’ils versent aux débats est insuffisamment probant de ce qu’ils plaident alors qu’au contraire les quelques clichés produits de part et d’autre témoignent de ce que la construction des époux Y, si elle n’est pas la seule maison à étage, est à la fois la plus haute, avec deux flèches distinctes dépassant très nettement la hauteur des constructions environnantes et la plus imposante, sans grand rapport, par ses mesures, avec la description de l’habitat en cette zone du PLU.

Si le tribunal a encore rappelé que les consorts X n’étaient nullement garantis de conserver le droit à ce panorama en bordure de lac et à leur ensoleillement, l’environnement qui était leur en zone UC du PLU, leur conférait cependant un droit à exiger de leurs voisins le respect de cet environnement et de ne pas leur causer préjudice par son non respect.

Il ressort du constat d’huissier qui a été effectué le 11 juillet 2017 à la demande des consorts X que sur l’un des côtés de leur maison la construction des époux Y occupe toute la vue le long de la ligne divisoire des deux fonds.

Les photographies accompagnant ce constat confirment en effet que les consorts X G une vue de face sur le lac depuis leur maison, ainsi que l’observent justement les époux Y, mais l’on comprend nettement à la vue de ces photographie qu’étant situés en première ligne du lac, ils disposaient depuis leur maison d’une vue à 360 ° sur celui-ci, même en présence d’une construction initiale de plain pied et que leur angle de vue a considérablement diminué, ce d’autant que les photographies accompagnant le constat d’huissier produit par les intimés mettent clairement en évidence que la maison des époux Y, particulièrement étendue, est beaucoup plus avancée vers le lac que la leur.

Il résulte encore du constat d’huissier versé aux débats par les intimés que la présence de cette construction massive de 6m80 de haut, entraîne sur ce côté en début de mois de juillet, à une période de l’année où le soleil est au plus haut, une perte d’ensoleillement anormale dès 16 heures. Il ne fait aucun doute que l’implantation d’une maison d’une telle hauteur sur toute la longueur de la ligne divisoire, ce à seulementà 2m50 de la ligne séparative des fonds ne peut avoir, par rapport à la construction de plain-pied initiale dont il est produit par les intimés quelques clichés annexés au constat d’huissier, qu’une incidence péjorative et une telle perte d’ensoleillement à cette époque de l’année dans un lieu de villégiature constitue un trouble anormal du voisinage pour les consorts X que le tribunal a justement retenu.

C’est en conséquence à bon droit que le tribunal a retenu que les époux Y ont, par cette construction, occasionné aux consorts X un trouble anormal du voisinage constitué par un perte de vue et d’ensoleillement. En leur allouant de ce chef une indemnisation de 25;000 EUR, il a fait une juste appréciation du montant de leur préjudice, alors que les consorts X qui forment appel incident de ce chef ne justifient pas du préjudice financier qu’ils allèguent en termes de perte de valeur de leur bien, ne produisant pas plus devant la cour qu’en première instance d’élément à l’appui de leur demande.

Le jugement entrepris est donc confirmé de ces chefs.

 

Référence: 

- Cour d'appel de Bordeaux, 2ème chambre civile, 10 février 2022, RG n° 19/02881