Inscription à notre newsletter

Recevez toutes les informations importantes directement dans votre boite mail. Cliquez ici

Partager cette actualité
Le 10 décembre 2020

 

La charge de la preuve pèse sur celui qui se prévaut de la possession acquisitive et l'acte de notoriété relatif à la prescription trentenaire ne caractérise pas en soi une possession, qui doit être corroborée par des faits matériels.

En vertu des articles 711 et 712 du Code civil, la propriété s'acquiert et se transmet par succession, par donation entre vifs ou testamentaire, par l'effet des obligations, par accession ou incorporation, et, enfin, par prescription.

Il est constant que le présent litige oppose d'une part, la petite-fille et les arrières petits-fils de M. Séraphin T. et, d'autre part, les consorts L. relativement à la propriété de vingt-huit parcelles situées dans une vallée de haute montagne dépendant du territoire de la commune de Prads-Haute-Bléone (04).

Ces parcelles font partie, avec d'autres, de la succession de M. Séraphin T. aux droits de laquelle interviennent les intimés ainsi qu'il en résulte de l'enregistrement auprès de la conservation des hypothèques.

M. Auguste L. et M. Firmin L., qui ne contestent pas le titre de propriété des consorts T.-M., ont cependant fait dresser un acte de notoriété acquisitive en date du 20 février 2016 sur les vingt-huit parcelles susvisées, aux termes duquel ils affirment qu'ils ont la qualité d'exploitant agricole et qu'ils possèdent ces parcelles à titre de propriétaire, depuis plus de trente ans et dans les conditions exigées par l'article 2261 du code civil.

Si la propriété d'un immeuble peut se prescrire par possession dans les conditions des articles 2255 et suivant du code civil, il faut démontrer:

- une possession caractérisée par les éléments suivants:

* le corpus, à savoir l'accomplissement d'actes matériels du droit de propriété,

* l'animus ou la volonté de se comporter comme le propriétaire exclusif du bien,

- une possession utile au sens de l'article 2261 du Code civil: continue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire,

- une possession utile trentenaire, en vertu de l'article 2272 du Code civil.

Il convient de rappeler que la charge de la preuve pèse sur celui qui se prévaut de la possession acquisitive et que l'acte de notoriété relatif à la prescription trentenaire ne caractérise pas en soi une possession, qui doit être corroborée par des faits matériels.

Les consorts L. se prévalent de plusieurs attestations ( pièces n° 22 à 31) qui relatent qu'ils font pâturer leur troupeau de vaches et brebis, chaque année, au printemps et à l'automne, sur les terres de Pied, Fourcha, la Lauzière, Vière, l'Immérée ou encore Cougets-Planestion,

Or, ces témoignages ne permettent aucunement d'identifier les parcelles revendiquées, étant souligné que:

- d'autres zones sont visées ( notamment les terres de Vière),

- certaines zones qu'ils prétendent posséder ne sont mentionnées dans aucune des attestations.

Si comme l'a relevé, à juste titre, le premier juge, il est permis de considérer qu'au moment des transhumances, messieurs L. mènent leurs animaux dans cette zone, rien ne permet d'affirmer qu'ils occupent précisément les parcelles de la famille T..

Les photographies qu'ils produisent de bovins dans des lieux de pâture peuvent concerner n'importe quel alpage et ne démontrent strictement rien .

Le fait que la mairie de la commune LE VERNET leur ait consenti depuis plus de trente ans des locations de pâturage ou cédé de l'herbage de l'estive sur les parcelles lui appartenant et limitrophes des terres de la famille T. est sans incidence et ne permet aucunement d'en déduire, par extension que les appelants justifient d'une possession sur les terrains des intimés au seul motif qu'ils jouxtent, pour certains, ceux objets des conventions susvisées.

Il n'est pas davantage rapporté la preuve d'aménagements, transformations ou constructions réalisées sur les parcelles revendiquées, qu'il n'existe en effet ni mangeoire, ni abreuvoir, ni abri ou enclos, la seule présence d'un torrent à proximité étant insuffisante pour justifier l'absence de toute installation.

En cause d'appel, messieurs L. communiquent un constat d'huissier dressé le 10 juillet 2018 comportant plusieurs photographies de fils barbelés, d'un portail dont ils ont la clé, constant l'existence d'éléments ( ancienne bouse de vaches, abondance de l'herbe non couchée), confirmant ainsi que les parcelles ont bien été pâturées, outre de nombreux pins ont été coupés et que des grosses pierres ont été installées pour pouvoir déposer des blocs de sel pour l'alimentation des troupeaux.

Or, la cour observe que:

- il ressort de ce procès-verbal que le portail et la clôture ont été constatés au niveau du col de Mariaud, soit à plusieurs kilomètres des parcelles T. ainsi qu'il en ressort des cartes IGN,

- les autres actes de possessions invoqués (coupe d'arbres, pierres plates) ne permettent aucunement de déterminer ni leur auteur, ni les parcelles concernées,

- il n'est pas établi le pâturage allégué, sans que les parcelles encore une fois ne soient identifiées, résultent du passage des vaches de la famille L. et non pas d'autres troupeaux.

Il apparaît en réalité qu'en l'absence de clôture des parcelles de la famille T. et au regard de leur intégration dans une zone de haute montagne , les seuls actes de possession invoqués par les appelants consistent à faire passer et éventuellement à faire pâturer leurs bêtes durant les transhumances sur les lieux libres d'accès et fréquentés tant par les randonneurs de la vallée que par d'autres troupeaux.

Les attestations des consorts L. visent au demeurant l'ensemble de la vallée et donc un territoire bien plus large que les parcelles revendiquées, corroborant qu'il s'agit uniquement de migration de troupeaux dans des zones de montagne, qui à cette occasion traversent différentes propriétés, ce qui correspond à une simple tolérance ne pouvant fonder la prescription en raison de son caractère équivoque. En outre, en l'absence de tout aménagement ou trace d'appropriation privée des parcelles litigieuses, qui sont libres d'accès, la possession revendiquée par les appelants ne se fait pas à titre de propriétaires, à défaut d'exclusivité attachée au droit de propriété.

C'est également en vain que messieurs L. soutiennent que les intimés ont abandonnés de leurs terres depuis près de 100 ans, que les attestations qu'ils produisent sont vagues, imprécises et mettent en évidence qu'ils ne connaissent pas les lieux alors que le droit de propriété, perpétuel, ne se perd pas par le non usage et que les témoignages produits par les consorts T.-M. rapportent certes que la famille n'habite plus le hameau de Pied Fourcha, qui a d'ailleurs été déserté de tous ses habitants depuis 1934, mais a continué à se rendre régulièrement sur ses terres et ne les a donc pas délaissées.

La succession T. justifie par ailleurs s'être régulièrement acquittée de la taxe foncière afférente aux parcelles querellées lorsqu'elles y étaient assujetties, à savoir jusqu'en octobre 1986, affirmant ainsi sa qualité de propriétaire et non pas l'abandon de ses biens.

Les conditions de la prescription acquisitive n'étant pas réunies, les consorts L. sont déboutés des fins de leur recours et le jugement entrepris sera confirmé en toutes ses dispositions.

Référence: 

- Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 1re et 5e chambres réunies, 26 novembre 2020, RG n° 18/10552