Le droit de propriété, tel que défini par l'article 544 du Code civil et protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, est limité par le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui aucun trouble anormal de voisinage. Il est constant que la victime de nuisances dont l'anormalité s'apprécie in concreto, est indemnisée par les auteurs du trouble, sans avoir à caractériser une faute de ces derniers.
Pour débouter M. K. de l'ensemble de ses demandes, le premier juge s'est principalement fondé sur :
- la personnalité procédurière de M. K. en se référant aux témoignages des voisins et à un article de presse paru dans le journal « Le paysan Breton » daté du 20 novembre 1998,
- les éléments de l'enquête de gendarmerie diligentée en décembre 2010 (PV n°03173-2010) qui a été classée sans suite par le parquet de Brest ainsi que sur les énonciations du procès-verbal de renseignement judiciaire du 11 mai 2011.
A titre liminaire, il ressort cependant des décisions de justice produites (jugement du TGI de Brest du 2 juillet 1993, arrêt de la Cour d'appel de Rennes du 10 mars 1998, jugement du TGI de Brest du 19 janvier 2000) que M. K. a eu gain de cause dans tous les procès qui l'ont opposé à ses voisins, les époux R., dont les témoignages ne pourront dès lors qu'être accueillis avec précaution. Par ailleurs, il ressort des attestations des époux N., anciens locataires, qu'ils étaient demandeurs- à tout le moins reconventionnels- dans le procès qui les a opposés à M. K.. Enfin, M. K. justifie avoir recherché un règlement amiable du litige auprès du maire de la commune, s'être rendu à la médiation pénale ordonnée par le parquet de Brest et avoir adressé de multiples mises en demeure préalables à son action. Par ailleurs, avant d'être classée sans suite au motif que l'infraction n'était pas suffisamment caractérisée, la plainte pour nuisances sonores déposée en décembre 2010 par M. K. avait été orientée vers une mesure de médiation pénale, le vice-procureur mentionnant dans son soit-transmis que « si la victime paraît procédurière, il semblenéanmoins qu'il y ait de réels désagréments ». C'est donc à tort que le premier juge s'est essentiellement appuyé sur la personnalité procédurière et l'enquête de gendarmerie classée sans suite, pour dire que les faits dénoncés par M. K. n'étaient pas suffisamment établis.
La cour relève que pour établir les nuisances sonores résultant des aboiements, M. K. produit 4 constats d'huissier dressés les 28 juin 2010, 28 avril 2016, 12 mai 2016 et 28 mai 2016 ainsi que 25 attestations établies entre 2009 et 2020. Il ressort de ces pièces que toute personne désireuse de se rendre chez M. K. en empruntant l'assiette de la servitude de passage au niveau des enclos, déclenche l'aboiement des chiennes, sans sollicitation particulière ; que ces aboiements une fois déclenchés perdurent pendant longtemps alors même que plus personne ne circule à l'extérieur, ce qui contredit l'allégation des intimés selon laquelle M. K. provoquerait les aboiements en excitant les chiennes ; que les aboiements sont audibles à l'intérieur du domicile et sont qualifiés de « gênants », « sonores », désagréables », « incessants », « violents », « en continu », « répétitifs » et qu'ils rendent difficile voire impossible toute conversation.
Pour contrer ces attestations, les époux G. se prévalent en premier lieu de l'enquête de voisinage effectuée par la gendarmerie en 2010 et de diverses attestations de voisins ne se plaignant d'aucune nuisance particulière. Or, ces témoignages sont à relativiser compte tenu de l'implantation des maisons. Il ressort en effet d'une photographie aérienne du lieu-dit (pièce n°38 des intimés) que la maison d'habitation de M. K. fait directement face à celle des époux G. et que le seul autre voisin réellement susceptible d'être importuné par les aboiements est M. R. dont la propriété fait face à l'enclos. Or, les témoignages des époux R. ne sauraient convaincre au regard de la relation très conflictuelle entretenue avec M. K.. D'autre part, il n'est pas surprenant que les autres voisins ne soient pas gênés par les aboiements compte tenu de leur éloignement, étant précisé que dans cet environnement très rural, les parcelles sont vastes, notamment celle des époux G. (9.000 m2).
Les époux G. se prévalent en second lieu d'une quinzaine d'attestations indiquant que les chiennes sont sociables, non agressives et bien éduquées ; qu'elles aboient à l'arrivée d'un tiers mais se calment rapidement, ce qu'avaient d'ailleurs confirmé les gendarmes dans la procédure PV n°03173-2010, classée sans suite. Cependant, ces pièces rendent compte de l'attitude des chiennes alors que les maîtres sont présents et ne peuvent remettre en cause les nombreuses attestations produites par M. K. émanant de personnes venues lui rendre visite en journée, en l'absence des maîtres. La plainte déposée en 2010 par M. K. précisait d'ailleurs que les chiennes aboyaient quand elles étaient dans leur enclos en l'absence de leurs maîtres et qu'il ne les entendait pas la nuit.
En outre, considérant les multiples photographies produites, montrant la présence non seulement des chiennes mais aussi d'une poule, d'un âne ou d'une chèvre en différents endroits de la propriété de M. K. (cour, terrasse, jardin et même à l'intérieur de la maison) à différents moments de la journée et à différentes époques de l'année, la divagation récurrente des animaux appartenant aux époux G. est difficilement contestable.
La présence de ces chiennes imposantes et aboyantes devant les fenêtres de M. K. est objectivement anxiogène. En revanche, il n'est pas suffisamment établi que la morsure alléguée par M. K. soit le fait d'un animal appartenant aux époux G..
Au total, le caractère anormal du trouble de voisinage est établi par les nuisances sonores anciennes, persistantes, régulières et d'intensité importante résultant des aboiements des chiennes ainsi que par leurs divagations récurrentes sur la propriété de M. K.. Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
S'agissant de l'indemnisation des préjudices subis par M. K., il résulte suffisamment des attestations et des certificats médicaux produits que les nuisances sonores et l'intrusion des chiennes sur sa propriété ont généré une anxiété importante ainsi qu'un trouble de jouissance évident. Ce trouble anormal du voisinage dure depuis 2009. Les époux G. ne démontrent pas en quoi il leur était impossible de déplacer l'enclos plus loin sur leur parcelle de 9.000 m2 afin de résoudre amiablement le litige. Ces éléments justifient qu'il soit alloué à M. K. la somme de 5.000 EUR à titre de dommages et intérêts.
Afin de faire cesser le trouble, sans préjudice de toutes autres mesures propres à rétablir la tranquillité de M. K., les époux G. seront condamnés sous astreinte selon les modalités détaillées au dispositif, à déplacer l'enclos des chiens à l'extrémité sud-est de leur parcelle, de l'autre côté du hangar auquel l'enclos est actuellement acollé.
- Cour d'appel de Rennes, 1re chambre, 9 mars 2021, RG n° 19/01993