Les donations entre époux sont-elles encore utiles après la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions du droit successoral ?
Depuis le 1er juillet 2002, le conjoint survivant peut recueillir des droits légaux relativement importants sur les biens du défunt : le quart en pleine propriété en présence de descendants ou l'usufruit de la totalité s'il s'agit d'enfants issus des deux époux, la moitié en pleine propriété en présence des père et mère, les trois quarts en pleine propriété en présence du père ou de la mère et la totalité en pleine propriété en présence d'autres ascendants ou de collatéraux (C. civ, art. 757 à 757-2). Le conjoint devient même, en l'absence de descendants et d'ascendants, un héritier réservataire dont la réserve porte sur un quart des biens du défunt (C. civ., art. 914-1. Ses droits sur le logement occupé à l'époque du décès et le mobilier le garnissant sont en outre renforcés. D'une part, l'attribution préférentielle de la propriété du local qui lui sert effectivement d'habitation à l'époque du décès n'est plus facultative pour le juge mais de droit et s'étend au mobilier le garnissant (C civ., art. 832). D'autre part, il peut bénéficier d'un droit viager qui prend en principe la forme d'un droit d'habitation sur le logement occupé à l'époque du décès à titre d'habitation principale et d'un droit d'usage sur le mobilier le garnissant (C. civ., art. 764).
La loi accorde depis 2002 au conjoint en concours avec des enfants issus des deux époux ce qu'il recevait dans la majorité des cas par donation : l'usufruit des biens existants . En outre, en l'absence de descendants et de père et mère, le conjoint recueille en vertu de la loi la totalité des biens du défunt en pleine propriété, primant désormais les autres ascendants et tous les collatéraux. Même en dehors de ces cas, ses nouveaux droits sur le logement lui assurent souvent le maintien de son cadre de vie.
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Il n'est donc pas certain que le besoin de faire une donation de biens à venir entre époux se fasse toujours ressentir.
Pourtant, elles permettent encore de renforcer et d'augmenter les droits du conjoint survivant. Cette possibilité est d'autant plus importante que la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 n'a pas repris la règle de subsidiarité de l'usufruit légal du conjoint Note 7 , semblant ainsi implicitement admettre un cumul des libéralités entre époux et des nouveaux droits légaux du conjoint survivant Note 8 .
Une donation de biens à venir entre époux (donation au dernier vivat) fournir une garantie plus importante de l'existence de droits effectifs pour le conjoint survivant. En effet, en présence de descendants ou d'ascendants, le conjoint n'est pas un héritier réservataire et, en leur absence, sa réserve n'est que du quart des biens du défunt. Les libéralités consenties par le défunt à d'autres personnes peuvent donc diminuer ou même supprimer les droits légaux du conjoint survivant. En revanche, dans la même situation, le conjoint gratifié ne sera pas nécessairement exclu. Certes, les donations de biens présents consenties à des tiers seront imputées prioritairement sur la quotité disponible mais elles ne diminueront que la quotité en pleine propriété, laissant intact le disponible en usufruit . En outre, si le défunt a consenti des legs à des tiers, le conjoint bénéficiant d'une donation de biens à venir consentie pendant le mariage viendra en concours avec les légataires et subira simplement une réduction proportionnelle de ses droits.
Une donation de biens à venir permet aussi d'augmenter les droits du conjoint survivant lorsque les époux veulent se gratifier au-delà des nouveaux droits successoraux.
La loi du 3 décembre 2001 n'a pas modifié les taux de la quotité disponible entre époux (C. civ., art. 1094 et 1094-1), à l'exception de la suppression de la quotité disponible spéciale en présence d'enfant adultérin exclusivement. L'écart persistant entre les droits légaux du conjoint en concours avec des descendants ou les père et mère et les droits qui peuvent lui être accordés par libéralités laisse encore place aux donations entre époux. Elles peuvent permettre d'attribuer au conjoint des droits plus importants, dans la limite de la quotité disponible entre époux, ou même de lui transmettre l'intégralité du patrimoine si les héritiers réservataires n'exercent pas l'action en réduction d'une donation portant atteinte à leur réserve. L'intérêt des donations entre époux n'est cependant pas le même selon la qualité, voire le nombre, des héritiers en concours avec le conjoint mais aussi, le cas échéant, selon l'option choisie.
En présence d'un ou plusieurs descendants, une donation entre époux permet d'augmenter les droits du conjoint d'un quart en pleine propriété ou de la moitié en nue-propriété pour une quotité disponible de la moitié en pleine propriété (en présence d'un enfant), d'un douzième en pleine propriété ou d'un tiers en nue-propriété pour une quotité disponible d'un tiers (en présence de deux enfants), d'un quart en nue-propriété pour une quotité disponible d'un quart (en présence de trois enfants ou plus), de trois quarts en usufruit ou d'un quart en nue-propriété pour une quotité disponible d'un quart en pleine propriété et de trois quarts en usufruit (quel que soit le nombre d'enfants) et enfin d'un quart en nue-propriété pour une quotité disponible portant sur l'usufruit de la totalité des biens (quel que soit le nombre d'enfants).
En présence des père et mère, une donation entre époux permet d'augmenter les droits du conjoint de la moitié en nue-propriété. En présence du père ou de la mère, le supplément est d'un quart en nue-propriété.
La comparaison théorique des taux de quotité disponible entre époux et des droits successoraux légaux du conjoint survivant permet d'affirmer le maintien de l'utilité des donations de biens à venir entre époux.
Il faut aussi prendre en compte des assiettes différentes des droits du conjoint. Ses droits légaux en pleine propriété se calculent sur une masse composée des biens existant au décès auxquels sont réunis ceux dont il a disposé à titre gratuit au profit de successibles sans dispense de rapport (C. civ., art. 758-1). Ses droits légaux en usufruit se calculent sur les biens existant au décès, à l'exclusion des biens objets de legs. En revanche, les droits dont peut bénéficier le conjoint par libéralités sont calculés sur une masse composée des biens existant au décès auxquels sont fictivement réunis tous les biens dont le défunt a disposé à titre gratuit, que les libéralités soient rapportables ou préciputaires, que les bénéficiaires soient successibles ou pas (C. civ., art. 922). En pratique, ces masses ne correspondront pas nécessairement, ce qui peut conférer une utilité réelle de la donation de biens à venir entre époux, les droits légaux du conjoint survivant pouvant se trouver augmentés.
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Il existe en outre des cas dans lesquels une donation entre époux peut s'avérer très utile :
- Lorsque le conjoint survivant est en concours avec des collatéraux privilégiés bénéficiaires de droits sur les biens d'origine familiale. Le nouvel article 757-3 du Code civil prévoit que la moitié des biens reçus par succession ou donation des père et mère du défunt qui se retrouvent en nature dans la succession reviennent aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, s'ils sont eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission . Le conjoint survivant ne recueille donc dans la succession légale que la moitié de ces biens. Une donation entre époux permet d'éviter ce partage au bénéfice du conjoint survivant.
- Une donation entre époux peut aussi être utile lorsque le conjoint survivant est en concours avec des enfants non issus des deux époux. Dans un pareil cas, la loi ne lui offre pas l'option entre la totalité de la succession en usufruit et le quart en pleine propriété. Il reçoit arbitrairement un quart des biens du défunt en pleine propriété. Une donation entre époux peut non seulement permettre d'augmenter ces droits mais aussi de préférer un usufruit à des droits en pleine propriété (C. civ., art. 1094-1) et d'adapter ainsi les droits du conjoint survivant à sa situation.
En conclusion, c'est lorsque les époux ou le survivant deux risquent de se trouver dans l'une des deux situations qui viennent d'être décrites que la "donation au dernier vivant" reste pratiquement utile.
- DE L'UTILITÉ DES DONATIONS ENTRE ÉPOUX APRÈS LA LOI DU 3 DÉCEMBRE 2001 par Christelle RIEUBERNET
Droit de la famille n° 3, mars 2003, chron. 7