En application de l’article 1382 devenu 1240 du Code civil, le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il prête son concours.
En l’espèce, les notaires maître B. et maître C. ne contestent pas que les appelants ont fait l’acquisition du terrain litigieux dans le but d’y construire une maison d’habitation.
La nature de ce projet immobilier était parfaitement connue des notaires, et ce en dépit du fait que la teneur et la date précise de ce projet de construction n’étaient pas encore déterminées à la date de l’acte authentique reçu le 11 février 2005. Il en résulte que les notaires ne peuvent prétendre se soustraire à leur devoir de conseil au motif que les acquéreurs ont attendu le 15 février 2007 pour déposer leur demande de permis de construire.
En exécution de ce devoir d’information et de conseil, les notaires se devaient tout particulièrement :
- d’attirer l’attention des acquéreurs sur les risques qu’ils encourraient en s’engageant dans cette acquisition immobilière avant d’avoir sollicité et obtenu un permis de construire ayant acquis un caractère définitif ;
- mais aussi de les informer de la possibilité d’insérer une condition résolutoire dans l’acte de vente de ce terrain destiné à la construction.
Cette obligation de conseil et d’information quant à l’obtention du permis de construire, s’agissant d’une vente de terrain à bâtir, est générale et absolue. Elle s’applique à tout terrain vendu à des fins de construction, y compris à un terrain issu d’un lotissement régulièrement approuvé en vue de la construction de maisons d’habitation et plus généralement à tout terrain doté de droits à construire en application des documents et règlements d’urbanisme en vigueur à la date de signature de l’acte notarié.
Le fait que, comme en l’espèce, l’inconstructibilité du terrain ait résulté d’un changement des règles d’urbanisme postérieur à l’acte notarié n’exonère pas pour autant le notaire de son manquement lorsqu’il n’a pas alerté l’acquéreur du risque inhérent à l’absence de permis de construire définitif obtenu à la date de l’acte.
Ce devoir de conseil et d’information est indépendant de l’obtention ou non d’un certificat d’urbanisme, document administratif à caractère informatif qui n’a pas pour objet d’autoriser une construction ou la réalisation d’une opération immobilière.
L’obligation d’information et de conseil n’est donc pas parfaitement remplie par le notaire lorsque ce dernier ne fait que reprendre dans son acte les mentions ‘ même précises et exhaustives ‘ relatives à la situation d’urbanisme du terrain acquis et que ce notaire met simplement les acquéreurs en mesure de consulter le plan du lot vendu, la copie de l’arrêté autorisant le lotissement, le règlement du lotissement, les statuts de l’association syndicale, la garantie d’achèvement des travaux du lotissement et l’attestation du lotisseur concernant la surface hors oeuvre nette (SHON) constructible du lot.
Alors surtout qu’il n’est pas contesté que la qualification de terrain à bâtir donnée au terrain et sa constructibilité constituaient des éléments déterminants du consentement des acquéreurs, les notaires ne sont pas davantage fondés à s’abriter derrière le fait que ces acquéreurs ne leur avaient communiqué, à la date de l’acte, aucun projet précis de construction, leur demande de permis de construire n’ayant été déposée que deux ans après la vente.
En effet, cette circonstance n’empêchait pas les notaires d’insérer utilement dans leur acte une condition suspensive ou une clause résolutoire en cas d’inconstructibilité du terrain, même si ce terrain était au demeurant parfaitement constructible le jour de la vente.
Les intimés ne sont pas fondés à soutenir qu’en prodiguant ce conseil aux acquéreurs, ils auraient nui aux intérêts du vendeur puisque ce dernier demeurait libre d’accepter ou pas les conditions exigées des acquéreurs, les parties conservant l’exercice de leur liberté contractuelle, après avoir été informées par les notaires conformément à la loi.
Contrairement à ce que soutient le notaire C. dans ses écritures, une telle condition résolutoire d’obtention de permis de construire n’aurait pas été potestative et les parties pouvaient l’assortir d’un délai maximal pour le dépôt de cette demande de permis.
Enfin, le notaire B. fait valoir que l’avant-contrat signé le 12 novembre 2004 ne prévoyait aucune condition suspensive d’obtention d’un permis de construire. Ce moyen ne saurait prospérer, s’agissant d’une promesse unilatérale qui était certes assortie d’une indemnité d’immobilisation de 5 % du prix, mais qui laissait aux bénéficiaires la faculté de renoncer à leur acquisition.
Les deux notaires soutiennent par ailleurs que M. et Mme F. ont eu tort d’exercer de longs recours selon eux voués à l’échec devant les juridictions administratives au lieu de demander l’annulation ou la résolution de la vente. Les notaires soutiennent que les acquéreurs ont en outre contribué à leur préjudice en attendant presque deux années pour déposer leur demande de permis de construire. Le comportement des acquéreurs serait selon eux de nature à les exonérer de leur responsabilité professionnelle.
En l’espèce, les époux F. étaient au contraire légitimes à exercer tous recours utiles devant les juridictions administratives concernant leurs deux demandes successives de permis de construire. L’exercice de leur droit d’ester en justice visait à voir reconnaître la constructibilité d’un terrain qu’ils pensaient leur être acquise et qui a brutalement été remise en cause par l’administration.
Les acquéreurs étaient en droit de persévérer dans leur projet immobilier plutôt que de rechercher l’annulation ou la résolution de la vente.
Leur choix procédural était d’autant plus justifié que l’action en nullité pour erreur exercée contre le vendeur avait peu de chance de réussir dans la mesure où l’erreur n’existait pas à la date de la vente. L’action en résolution de la vente pour défaut de délivrance de la chose vendue, évoquée par maître C. dans ses écritures, était tout autant vouée à l’échec puisque les acquéreurs ont reçu le jour de la vente le terrain constructible que leur devait le vendeur.
Enfin, le fait l’attendre le 15 février 2007 pour déposer leur demande de permis de construire ne peut pas davantage être reproché aux époux F.. En effet, ces derniers n’ont pas été informés du risque encouru en achetant le terrain sans disposer du permis de construire définitif, risque qui ne peut que s’aggraver avec l’écoulement du temps, ce qu’ils ignoraient également.
Le manquement à leur devoir de conseil est donc établi à l’encontre des deux notaires B. et C. sans que ces derniers ne soient fondés à invoquer le comportement des acquéreurs pour les exonérer en tout ou partie de cette responsabilité.
- Cour d’appel de Montpellier, 3e chambre civile, 1er juillet 2021, RG n° 20/04140