Une requérante autrichienne a saisi la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) à la suite du meurtre de son fils par le père de celui-ci. En juillet 2010, elle appela la police parce que son époux l’avait battue et une ordonnance d’interdiction de s’approcher de son appartement fut prise contre son conjoint. En 2011, un tribunal pénal régional déclara son conjoint coupable de coups et blessures et de comportement menaçant dangereux et le condamna à une peine de trois mois de prison assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve pendant trois ans. Jusqu’en mai 2012, plus aucun incident ne fut rapporté à la police. Toutefois, en mai 2012, la requérante se rendit au tribunal de district et déposa une demande de divorce. Le même jour, elle dénonça son époux à la police pour viol et menaces dangereuses. Elle ajouta qu’il la battait régulièrement et qu’il giflait parfois aussi les enfants. Elle disait être terrifiée par son époux et déclara vouloir se protéger elle-même et protéger également ses enfants. Un policier délivra une ordonnance d’interdiction contre son mari. Demandant alors, s’il lui serait possible de prendre contact avec les enfants, le mari de la requérante confessa les avoir frappés « de temps à autre », mais « uniquement à des fins éducatives », sans agressivité. Le 25 mai 2012, il tua son fils aîné d’une balle dans la tête avant de retourner son arme contre lui.
En février 2014, la requérante engagea alors une action en responsabilité administrative. Elle arguait que le parquet aurait dû demander que son mari fût placé en détention provisoire après qu’elle l’eut dénoncé à la police, et qu’il avait existé un risque réel et immédiat qu’il s’en prît de nouveau à sa famille. Elle fut déboutée en première instance, en appel et en cassation, au motif que compte tenu des informations dont les autorités avaient disposé à l’époque des faits, on ne pouvait pas discerner de risque immédiat pour la vie de son fils. Invoquant les art. suivants de la Convention européenne des Droits de l'Homme et de sauvegarde des libertés fondamentales : 2 (droit à la vie), 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) et 8 (droit au respect de la vie familiale), la requérante saisit la Cour européenne reprochant aux autorités autrichiennes de ne pas l’avoir protégée, elle et ses enfants, contre son mari violent, manquement qui s’était selon elle soldé par le meurtre de leur fils par ce dernier.
Dans son arrêt sous référence, la Cour estime que les griefs se confondent pour l’essentiel et juge approprié de les examiner sous le seul angle de l’art. 2 de la Convention.
Sur la question de savoir si les autorités ont honoré l’obligation de protéger la requérante et ses enfants que leur imposait l’art. 2, la Cour rappelle qu’en 2010 la police avait délivré une ordonnance d’interdiction visant son mari immédiatement après qu’elle eut déposé une plainte pénale contre lui, et que la condamnation de celui-ci avait été prononcée six mois seulement après que son épouse l’eut dénoncé à la police. Deux ans plus tard, en 2012, la requérante se plaignit de nouveau d’incidents violents auprès de la police et celle-ci délivra de nouveau immédiatement une ordonnance d’interdiction contre son époux. Le même jour, le parquet ouvrit une enquête pénale faisant suite à des allégations de violences domestiques et de viol. La Cour estime que les autorités ont donc réagi immédiatement et sans retard à ses signalements.
La Cour devait alors rechercher si, sur la base des informations disponibles à l’époque des faits, les autorités auraient dû savoir que le mari de la requérante représentait un risque réel et immédiat pour la vie de son fils en dehors des lieux auxquels l’ordonnance d’interdiction s’appliquait, risque auquel seul son placement en détention aurait pu parer.
À l’instar des autorités autrichiennes, la Cour estime que les menaces n’étaient pas indicatives de l’existence d’un risque immédiat pour la vie des enfants en dehors de leur résidence familiale.
En effet, selon la Cour, rien ne permettait de dire que l’époux de la requérante avait jamais détenu une arme ou cherché à s’en procurer une. De plus, il s’était toujours montré coopératif avec la police. Les autorités internes n’avaient donc aucune raison de penser qu’il existait un risque spécifique d’atteinte à la vie par usage d’armes à feu. Dans ces conditions, les autorités étaient en droit de considérer que l’ordonnance d’interdiction suffisait à protéger la vie et l’intégrité physique de la requérante et de ses enfants. Le père ne s’étant jusque-là jamais livré à des accès de violence en dehors du domicile familial, une ordonnance d’interdiction semblait apte à parer à cette éventualité, d’autant plus que le père s’était pleinement conformé à cette mesure en 2010.
Dans ces conditions, il était impossible de détecter l’existence d’un risque réel et immédiat que ce père préméditât un meurtre, se procurât une arme à feu puis tirât sur son fils.
La Cour établit donc qu’au moment des faits les autorités pouvaient à bon droit considérer que l’ordonnance d’interdiction suffirait à protéger la vie de la requérante et celle de ses enfants. Un risque réel et immédiat pour la vie des enfants était impossible à discerner.
- CEDH, 4 juillet 2019, aff. 62903/15