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Le 18 septembre 2019

Il résulte de l’art. 809 du Code de procédure civile que le juge des référés peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite, le dommage imminent s’entendant du dommage qui n’est pas encore réalisé à la date à laquelle le premier juge a statué mais qui se produira vraisemblablement si aucune mesure n’est prise, et le trouble manifestement illicite procédant d’un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Or, en l’occurrence , la mise en place des compteurs Linky est réalisée par la société Enedis sur le fondement de l’article L. 341-4 du code de l’énergie, transposant dans la législation française la directive européenne n° 2009/72 du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, et des articles R. 341-4 et R. 341-8 du code de l’énergie ainsi que de l’arrêté du 4 janvier 2012 pris pour son application, dans l’objectif de permettre aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents suivant les périodes de l’année ou de la journée et d’inciter les utilisateurs à limiter leur consommation pendant les périodes où la consommation de l’ensemble des consommateurs est la plus élevée.

En outre, il résulte de la combinaison des art. L. 322-4 du Code de l’énergie et L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales que les compteurs n’appartiennent pas aux utilisateurs, mais à l’autorité concédante de la distribution d’électricité, le gestionnaire du réseau public d’électricité Enedisayant, selon l’article L. 322-8 du code de l’énergie, pour mission d’assurer leur pose, leur entretien et leur renouvellement.

Ainsi, selon les conditions générales relatives à l’accès et à la distribution du réseau public d’électricité annexées au contrat conclu par les appelants avec leur fournisseur d’énergie, le client s’engage à prendre toute disposition pour permettre d’effectuer la pose, la modification, l’entretien et la vérification du matériel de comptage.

Il s’en évince que le remplacement par la société Enedis des anciens compteurs par des dispositifs de comptage communicants ne procède que d’une obligation légale de modernisation du réseau public de distribution de l’électricité qu’elle est tenue de mettre en oeuvre dans le cadre de la mission de service public qui lui est confiée.

Dès lors, l’installation des compteurs Linky ne peut être regardée comme constituant un trouble manifestement illicite.

Les appelants prétendent cependant que le déploiement de ces compteurs les exposeraient à un risque d’incendie et serait de nature à créer un danger pour le bon fonctionnement des installations électriques et des appareils électroménagers.

La société Enedis souligne toutefois que ce compteur est un équipement électrique de basse puissance, comparable aux compteurs électroniques dont les utilisateurs du réseau sont déjà’ équipés, qu’il a été conçu à partir de matériaux intégrant des retardateurs de flammes et est doté d’une fonction nouvelle limitant les dommages aux appareils électriques de l’installation en cas de surtension, qu’il a subi de nombreux tests chez le fabricant comme dans son propre laboratoire dédié à la qualification du matériel, et que le signal de la technologie utilisée du courant porteur en ligne (CPL) n’est pas réémis par les appareils électroménagers et utilise une bande de fréquence qui lui est propre afin d’éviter toute interférence avec d’autres équipements.

D’autre part, rien ne démontre en l’état, alors que 18 millions de compteurs ont été déployés, que ceux-ci présentent des défauts intrinsèques de nature à exposer les utilisateurs à des risques plausibles d’incendie.

En outre, rien ne démontre que les normes techniques d’intervention sur l’installation électrique des utilisateurs soient généralement ignorées des sous-traitants auxquels la société Enedis confie les travaux de remplacement de compteur, de sorte que le risque de dommage résultant de malfaçons lors de l’installation demeure hypothétique.

Les pièces produites par les appelants relativement à des incendies de compteur survenus ces dernières années ne précisent au demeurant pas le modèle de compteur concerné, et établissent moins encore l’existence d’un lien causal plausible avec un dysfonctionnement du compteur Linky ou de mauvaises préconisations de la méthode de pose, un nombre significatif de ces sinistres étant survenus dans des communes où celui-ci n’avait pas encore été déployé et, dans d’autres cas, l’incendie s’étant propagé jusqu’au compteur sans que le point de départ du feu en ait été le siège.

L’imminence d’un dommage aux biens des appelants n’est donc pas suffisamment établie.

Ceux-ci soutiennent par ailleurs que la technologie mise en oeuvre les exposerait à un risque accru d’électro-hypersensibilité (EHS) ou d’intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques (IEI-CEM) de nature à ruiner leur santé, et que, partant, l’installation du compteur Linky devrait être interdite dans leur habitation et à proximité en vertu du principe de précaution.

Cependant, ainsi que la cour l’a précédemment relevé, le compteur Linky est un équipement électrique de basse puissance, comparable aux compteurs électroniques dont les utilisateurs du réseau public d’électricité étaient déjà’ équipés et, s’il utilise, pour communiquer avec le concentrateur, la technologie CPL, celle-ci est mise en oeuvre et répandue depuis longtemps.

En outre, ce concentrateur agrège les données transmises par les compteurs pour les transmettre au système d’information de la société Enedis au moyen de la technologie GPRS, à l’instar d’un téléphone mobile émettant quelques minutes par jour en utilisant le réseau de téléphonie existant sans construction de nouvelles antennes.

D’autre part, il ressort du rapport technique sur les niveaux de champs électromagnétiques créés par les compteurs Linky publié le 30 mai 2016 par l’Agence nationale des fréquences, (l’ANFR) que ces dispositifs créent une exposition en champ électrique et en champ magnétique comparable à d’autres équipements électriques du quotidien, le communiqué de presse relatif à ce rapport précisant que l’exposition spécifique liée à l’usage du CPL par le compteur Linky apparaissait très faible et n’accroissait pas significativement le niveau de champ électromagnétique ambiant.

L’ANFR a de surcroît réalisé en septembre 2016 de nouvelles mesures qui ont confirmé de faibles niveaux d’exposition, relevés tant en laboratoire que chez des particuliers, ainsi que l’absence d’augmentation significative du niveau de champ électromagnétique ambiant.

D’autre part, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (l’ANSES) a, à la demande du directeur général de la santé, réalisé une évaluation de l’exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les compteurs communicants et a conclu, dans son rapport de décembre 2016, que les campagnes de mesure d’intensité des champs électromagnétiques émis par les communications CPL, à proximité des compteurs ou au voisinage des câbles électriques dans des habitations, ont mis en évidence des niveaux très faibles, comparables à ceux émis par les dispositifs électriques ou électroniques domestiques, et qu’il n’existait qu’une très faible probabilité que l’exposition à ces champs électromagnétiques puisse engendrer des effets sanitaires à court ou long terme.

De plus, pour compléter ses informations, l’ANSES a commandé de nouvelles mesures confiées au Centre scientifique et technique du bâtiment (le CSTB), qui souligne que la circulation des courants électriques CPL dans le réseau électrique génère un champ magnétique décroissant lorsque l’on s’éloigne du câble, très inférieur aux valeurs limites d’exposition et respectant l’ensemble des normes techniques en vigueur.

Sur la base de ces nouvelles données, l’ANSES a publié, le 20 juin 2017, un avis révisé, aux termes duquel, si le nombre de communications CPL dans les logements est plus élevé que celui initialement anticipé sur la base des informations fournies par la société Enedis, entraînant une durée d’exposition plus longue que prévue, les niveaux d’exposition aux champs électromagnétiques demeurent très faibles, de sorte qu’il n’existe toujours qu’une très faible probabilité qu’ils puissent engendrer des effets sanitaires à court ou long terme.

Enfin, dans un ultime avis du 13 mars 2018, l’ANSES indique, sur la question de l’EHS, qu’il n’existait pas, à ce jour, de critères de diagnostic validés, ni, en l’état actuel des connaissances de la science, de preuve expérimentale solide permettant d’établir un lien de causalité entre l’exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes décrits par les personnes déclarant souffrir d’EHS,

même si la souffrance exprimée par celles-ci correspond à une réalité vécue et qu’elles ont besoin d’adapter leur quotidien pour y faire face, recommandant ainsi d’étudier la possibilité d’installer des filtres évitant la propagation des signaux du CPL à l’intérieur de leur logement.

Il n’existe donc pas d’éléments circonstanciés qui feraient apparaître, en l’état des connaissances scientifiques, un risque sanitaire de nature à caractériser un dommage imminent pour la santé de la population en raison d’une pollution électromagnétique liée au déploiement du compteur Linky, de sorte que l’interdiction de pose des compteurs Linky ne peut se justifier par le principe de précaution régi par l’article 5 de la Charte de l’environnement.

Les appelants expriment des doutes sur la neutralité de l’ANFR et de l’ANSES, et produisent des avis critiquant les conclusions de ces autorités publiques indépendantes, mais il n’appartient pas à la juridiction des référés, juge de l’évidence, d’entrer dans le détail de cette argumentation polémique.

Mmes Y, D et AF-AG, et MM. Z, A, B et C ne produisent par ailleurs aucunes pièces médicales propres à caractériser que, souffrant eux-mêmes d’EHS ou d’IEI-CEM, ou des occupants habituels du logement en souffrant, il leur serait nécessaire, pour y faire face, d’adapter leurs conditions de vie en excluant de leur environnement toute source de champ électromagnétique, y compris celle, très faible, émise par le compteur Linky.

Mme X déclare quant à elle personnellement souffrir d’EHS, et, résidant à présent dans un logement équipé d’un compteur Linky, elle demande à la cour d’ordonner à la société Enedis de retirer le compteur Linky de son domicile et de le remplacer par un compteur 'classique', ou, à titre subsidiaire, d’installer un filtre en amont du compteur et de faire blinder les conduits électriques.

Contrairement à ce que prétend la société Enedis, cette demande, nouvelle en cause d’appel, est néanmoins recevable en application des articles 564 et 565 du code de procédure civile, dès lors qu’elle tend aux mêmes fins que la demande d’interdiction de pose d’un compteur Linky et qu’elle est née de la survenance du fait nouveau de son déménagement.

Pour établir son hypersensibilité, elle produit :

• le compte-rendu d’un électrocardiogramme réalisé le 21 août 2017 après une douleur thoracique nocturne en février 2017, concluant à un bilan cardiaque rassurant,

• le certificat d’un ophtalmologiste décrivant le 11 septembre 2017 un kyste lymphatique sur la conjonctive bulbaire de l’oeil droit,

• le certificat d’un praticien du CHU de Nantes concluant le 21 novembre 2017, au vu du dossier, de l’état antérieur et du questionnaire issu de l’étude européenne sur l’hypersensibilité aux champs électromagnétiques, que Mme X présente un syndrome d’EHS et conseillant des mesures d’éviction ou d’éloignement pouvant diminuer la symptomatologie,

• le compte-rendu d’un enregistrement de l’électrocardiogramme réalisé durant 24 heures en octobre 2018 en raison de plaintes de palpitations au contact des ondes, concluant à l’absence d’hyper-excitabilité ventriculaire ou auriculaire pathologiques, avec exceptionnelles extrasystoles atriales ou ventriculaires enregistrées en dehors de son passage dans un magasin avec Wifi,

• le compte rendu d’un nouvel enregistrement de l’électrocardiogramme réalisé durant 24 heures en février 2019 ne décelant pas d’autres anomalies que des extrasystoles numériquement significatives mais de caractéristique banale, un peu plus soutenues entre 18 h 00 et 20 h 00,

• un compte-rendu d’une consultation de cardiologie du 28 mars 2019 réalisée dans le contexte de douleurs thoraciques nocturnes avec picotement de yeux, asthénie, acouphènes et sensation de palpitations au contact des ondes, confirmant le caractère bénin des extrasystoles ventriculaires.

Cependant, devant la juridiction des référés, ces éléments ne suffisent pas à établir l’imminence d’un dommage, alors que seul le certificat du 21 novembre 2017 conclut à l’existence d’un syndrome d’hypersensibilité aux ondes électromagnétiques, qu’en dépit de ce que ce diagnostic était déjà posé, elle a fait le choix de quitter, au cours de la procédure d’appel, un logement non équipé du compteur pour emménager dans un nouveau logement qui en était pourvu, et qu’il ne résulte pas de l’évidence que la présence de ce compteur, dont le champ électromagnétique est très faible, soit en lien causal avec ses symptômes et qu’il serait nécessaire de le retirer ou d’installer des filtres évitant la propagation des signaux du CPL à l’intérieur de son logement.

Il convient donc de confirmer l’ordonnance attaquée rejetant la demande du consommateur.

Référence: 

- Cour d'appel de Rennes, 2e chambre, 13 septembre 2019, RG n° 18/05112