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Le 06 septembre 2020

 

 

Par un arrêté du 28 août 2020, la préfète du Bas-Rhin a imposé le port du masque, à compter du 29 août 2020 à 8 heures et jusqu’au 30 septembre 2020 inclus, aux piétons d’au moins onze ans se trouvant dans l’espace public des communes de Bischheim, de Bischwiller, d’Erstein, d’Haguenau, d’Hoenheim, d’Illkirch-Graffenstaden, de Lingolsheim, d’Obernai, d’Ostwald, de Saverne, de Schiltigheim, de Sélestat et de Strasbourg, à l’exception des personnes en situation de handicap, sous certaines conditions, et de celles pratiquant une activité artistique ou physique. A titre principal, MM. A. et B. demandent au juge des référés de suspendre, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, l’exécution de cet arrêté. A titre subsidiaire, les requérants demandent au juge d’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à permettre la sauvegarde les libertés fondamentales en jeu.

D’une part, aux termes de l’article L. 511-1 du Code de justice administrative : « Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n’est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. ». Aux termes de l’article L. 521-2 de ce code : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ». Aux termes de l’article R. 522-1 du même code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit (…) justifier de l’urgence de l’affaire. ».

D’autre part, le 1° du I de l’article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire autorise le Premier ministre, hormis sur les territoires dans lesquels l’article 2 de la même loi proroge l’état d’urgence sanitaire, à compter du 11 juillet 2020 et jusqu’au 30 octobre 2020, à réglementer la circulation des personnes dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19. Le II du même article prévoit qu’il peut habiliter les préfets à prendre toutes mesures générales ou individuelles d’application de cette réglementation. Le III de cet article dispose que « Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ». L’article 1er du décret n° 2020-860 du 10 juillet 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans les territoires sortis de l’état d’urgence sanitaire et dans ceux où il a été prorogé habilite le préfet de département à rendre le port du masque obligatoire, dans les cas où il n’est pas prescrit par ce décret et lorsque les circonstances locales l’exigent.

Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du Code de justice administrative qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l’action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu’existe une situation d’urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai. Ces mesures doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Sur le fondement de l’article L. 521-2, le juge des référés peut ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, des mesures d’organisation des services placés sous son autorité, dès lors qu’il s’agit de mesures d’urgence qui lui apparaissent nécessaires pour sauvegarder, à très bref délai, la liberté fondamentale à laquelle il est gravement, et de façon manifestement illégale, porté atteinte. Le caractère manifestement illégal de l’atteinte doit s’apprécier notamment en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

Pour l’application de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, le droit au respect de la vie privée, la liberté d’aller et de venir, celle d’entreprendre et le droit à la protection de la santé constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de cet article.

Sur la demande en référé

En ce qui concerne la condition tenant à l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

M. A. et B. font valoir que l’obligation du port du masque n’est pas justifiée puisque, selon les données de l’institut national de la statistique et des études économiques et de l’agence régionale de santé Grand Est, la situation sanitaire s’est nettement améliorée dans le Bas-Rhin et qu’elle n’est pas comparable à celle qui avait cours au mois de mars 2020. Ils soutiennent également que l’efficacité du masque dans la lutte contre la propagation de la covid- 19 n’est pas démontrée et que, selon les orientations provisoires de l’organisation mondiale de la santé formulées le 6 avril 2020, son port comporterait un risque d’auto-contamination et pourrait générer un sentiment de sécurité pouvant conduire à négliger d’autres mesures de prévention, telles que la « distanciation » physique et l’hygiène des mains.

Dans ses dernières orientations provisoires relatives au « port du masque dans le cadre de la covid-19 », datées du 5 juin 2020 et disponibles sur son site internet, l’organisation mondiale de la santé a estimé que le port du masque s’inscrivait « dans le cadre d’un ensemble de mesures anti-infectieuses propres à limiter la propagation de certaines affections respiratoires virales, dont la covid-19 fait partie » et qu’il pouvait « permettre aussi bien à des sujets en bonne santé de se protéger (en cas de contact avec une personne infectée) qu’à des sujets porteurs de virus de ne pas les transmettre (lutte à la source) ». Cette organisation internationale a également invité les gouvernements à « encourager le grand public à porter des masques dans des situations et des lieux spécifiques, comme les transports en commun, les magasins ou autres environnements confinés ou surpeuplés » afin « d’endiguer efficacement la transmission de la covid-19 dans les zones de transmission locale », dans des orientations provisoires rendues publiques le 19 août 2020. Dans son avis n° 8, rendu le 27 juillet 2020 et intitulé « Se préparer maintenant pour anticiper un retour du virus à l’automne », le conseil scientifique covid-19, dont l’autorité ne saurait être sérieusement contestée, constatait que la circulation du virus était redevenu plus importante, que cette situation correspondait « à des mouvements de populations liés aux vacances, mais surtout à une perte progressive des mesures barrières, du port du masque mais aussi de distanciation physique, en particulier dans la population la plus jeune ». Il y indiquait qu’il était « hautement probable qu’une seconde vague épidémique soit observée à l’automne ou hiver prochain », rappelait l’importance du masque et que « l’obligation du port du masque dans les lieux publics clos [était] une mesure qui pourrait être étendue à l’ensemble des lieux publics ».

Dans le Bas-Rhin, la situation sanitaire est marquée par une recrudescence de la pandémie, puisque, selon les tableaux de bord des données régionales de l’agence régionale de santé Grand Est, le taux d’incidence, qui correspond au nombre total de nouveaux cas pour 100 000 habitants sur 7 jours glissants, est passé de 11,5 à 38,9 du 14 août 2020 au 28 août 2020 et que le taux de positivité, qui rend compte de la part de tests positifs obtenus sur le nombre total de tests réalisés sur 7 jours glissants, s’élevait à 2,6 % le 28 août 2020 contre 1,4 %, quatorze jours auparavant. En particulier, le nombre de cas positifs chez les personnes âgées de 20 à 29 ans, proche de zéro le 13 juillet 2020, a augmenté de manière continuelle et soutenue pour atteindre un taux d’incidence de 91 cas pour 100 000 habitants le 23 août 2020, même s’il est vrai que le nombre de tests a été multiplié. Enfin, le nombre de cas positif dans l’ensemble de la population du département a été multiplié par 2,5 au cours de la semaine du 17 août 2020 au 23 août 2020, alors que le nombre de tests ne l’a été que de 1,5 au cours de cette période.

Ainsi, eu égard aux risques de santé encourus par les populations des 13 communes concernées par l’arrêté préfectoral en litige, qui comptent chacune plus de 10 .000 habitants, à l’impératif d’endiguer la propagation de la covid-19, au contexte actuel marqué par la fin des vacances scolaires et universitaires, et alors qu’il est largement admis par la communauté scientifique que le masque constitue un moyen efficace pour contenir cette pandémie, la préfète du Bas-Rhin pouvait légalement en imposer le port dans lesdites communes.

Toutefois, il ressort des termes de l’arrêté du 28 août 2020 que cette obligation porte sur la période du 29 août 2020 au 30 septembre 2020, soit 33 jours, et surtout qu’elle s’applique toute la journée et sur l’ensemble du territoire de chacune des 13 communes concernées. La préfète du Bas-Rhin, à qui le caractère général et absolu de son arrêté a été opposé à la barre, n’a apporté aucune justification sur ce point, alors que les dispositions précitées de l’article 1er du décret du 10 juillet 2020 autorise uniquement le représentant de l’Etat à rendre le port du masque obligatoire lorsque les circonstances locales l’exigent. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’il existerait en permanence et sur la totalité des bans communaux concernés une forte concentration de population ou des circonstances particulières susceptibles de contribuer à l’expansion de la covid-19.

Par suite, l’arrêté en litige porte, dans cette mesure, à la liberté d’aller et venir et au droit de chacun au respect de sa liberté personnelle une atteinte grave et manifestement illégale.

En ce qui concerne la condition d’urgence :

 L’arrêté contesté porte une atteinte immédiate à la liberté d’aller et venir et à la liberté personnelle des personnes appelées à se déplacer sur le territoire des communes dans lesquelles il s’applique. Il n’apparaît pas, notamment pour les motifs exposés aux points précédents, qu’un intérêt public suffisant s’attache à son maintien dans son intégralité et jusqu’au 30 septembre 2020. La condition d’urgence prévue par l’article L. 521-2 du code de justice administrative est, par suite, également remplie.

Sur les mesures devant être prescrites :

Eu égard aux nécessités, d’une part, de sauvegarder la liberté d’aller et de venir et le droit de chacun au respect de sa liberté personnelle et, d’autre part, d’endiguer la propagation de la covid-19, il y a lieu pour le juge des référés, dans les circonstances de l’espèce, d’enjoindre à la préfète du Bas-Rhin d’édicter un nouvel arrêté excluant de l’obligation du port du masque les lieux des communes concernées et les périodes horaires qui ne sont pas caractérisés par une forte densité de population ou par des circonstances locales susceptibles de favoriser la diffusion de ce virus, au plus tard le lundi 7 septembre à 12 heures. A défaut, l’exécution de l’arrêté litigieux du 28 août 2020 sera automatiquement suspendue.

Référence: 

- Tribunal administratif de Strasbourg, 2 septembre 2020, RG n° 2005349