Inscription à notre newsletter

Recevez toutes les informations importantes directement dans votre boite mail. Cliquez ici

Partager cette actualité
Le 10 novembre 2020

 

La cour d'appel rappelle que selon l'article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 applicable à l'espèce, "Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi".

Le pacte de préférence qui a été codifié, postérieurement aux faits de l'espèce, par l'ordonnance du 1er février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, à l'article 1123 du Code civil, est une convention par laquelle le propriétaire d'un bien, le promettant, s'engage en cas de vente de celui-ci, à proposer prioritairement au bénéficiaire de la promesse de le lui vendre.

Le pacte de préférence peut prendre la forme d'un écrit ou être conclu oralement.

Les effets du pacte de préférence peuvent prendre fin si le bénéficiaire renonce à s'en prévaloir.

Ce n'est que s'il est possible de prouver que le tiers acquéreur, lorsqu'il a contracté, connaissait l'existence du pacte de préférence et la volonté du bénéficiaire de s'en prévaloir, que ce dernier pourra obtenir la nullité de la vente ou se substituer au tiers dans le contrat de vente passé en violation du pacte. A défaut de preuve que le tiers acquéreur connaissait l'existence du pacte de préférence et la volonté du bénéficiaire de s'en prévaloir, ces deux conditions étant cumulatives, ce dernier peut obtenir des dommages et intérêts du promettant afin de se faire indemniser des préjudices subis du fait de la violation du pacte de préférence.

Au cas d'espèce, si M. F. évoque "un droit de préférence" qui avait été consenti en cas de vente des locaux commerciaux exploités par la société DAPHNE, la proximité de M. F. avec la société DAPHNE amoindrit la force probante de son attestation en date du 9 décembre 2015.

Toutefois, l'attestation de M. H. du 23 juillet 2015, versée aux débats par la société DAPHNE, indique que M. Marc G. 'représentant et associé de la SCI NFJ5757 propriétaire des locaux commerciaux de copropriété qui avaient été donnés à bail à la société Daphné depuis 1998 avait aussi donné à la société Daphné sa préférence en cas de vente des murs' ; M. W. atteste également le 27 novembre 2015, de ce que le gérant de la société NF 5757 lui avait indiqué que 'la société DAPHNE disposait d'une préférence' pour acquérir les locaux commerciaux.

Il ressort en outre d'un courrier, en date du 11 décembre 2012 adressé par M. G. (gérant de la SCI NJJ5757) à M. F., dont il n'est pas discuté qu'il était alors l'interlocuteur de ce dernier pour le compte de la société DAPHNE, évoquant un prix d'acquisition des murs de la SCI NJ5757 de 997 000 euros (comprenant le prix de 37 000 euros pour le local poubelle) que M. G. 'envisage de restructurer le patrimoine familial et peut-être aussi de vendre. Un acquéreur c'est récemment manifesté. Il est informé de la préférence donnée à la société DAPHNE et de son souhait d'acquérir. Je te remercie donc d'actualiser ta dernière offre'.

Si la SCI NJF5757 émet des doutes dans ses conclusions sur l'authenticité de ce courrier, elle n'en apporte pas la preuve, étant relevé au surplus que dans son audition en date du 28 mars 2019 (dans le cadre d'une plainte pour faux et usage de faux déposée par la société DAPHNE qui a fait l'objet d'un classement sans suite), M. G., tout en contestant avoir consenti un pacte de préférence, a déclaré se souvenir 'avoir écrit une lettre dans ce genre' ; que lorsqu'il écrit 'qu'il y a une préférence, c'est par politesse'.

M. S., agent immobilier qui était l'intermédiaire dans la vente des locaux commerciaux, tel que cela ressort de son attestation en date du 27 avril 2017 et des différentes auditions effectuées lors de l'enquête de police, a, lors de son audition du 27 mars 2019, indiqué que M. Marc G. lui a déclaré, lorsque la société DAPHNE a évoqué la violation du pacte de préférence et que M. P. lui a demandé des explications sur ce point, qu'à l'époque de la signature du bail, il avait dit 'par politesse' à la société DAPHNE qu'elle aurait un 'droit de préférence'.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il est établi que la SCI NJF5757, par son gérant M. G., s'est engagée en cas de vente des locaux commerciaux qui était exploité par la société DAPHNE, à proposer prioritairement à celle-ci d'acquérir le bien avant tout acquéreur potentiel.

Le fait que la SCI NJF5757 et la société DAPHNE soient engagées dans plusieurs procédures est inopérant au regard de ces éléments.

Mais la cour rappelle que si le bénéficiaire peut renoncer à se prévaloir d'un pacte de préférence lorsque le promettant lui notifie son intention de vendre, il peut également y renoncer lorsqu'il a connaissance de l'existence d'une vente intervenue sans notification préalable de l'intention de vendre ; la renonciation n'est pas subordonnée à la réalisation de cette notification préalable. La renonciation peut être tacite mais elle doit être non équivoque.

La cour relève que la société DAPHNE n'a donné aucune suite au courrier du 11 décembre 2012 alors que M. G. mentionnait expressément qu'un acquéreur s'était manifesté et qu'il appartenait à la société DAPHNE "d'actualiser son offre" ce qui fait manifestement référence aux courriers des 4 juillet 2008 et 6 février 2009 par lesquels le conseil de la société DAPHNE, sans toutefois se référer à un quelconque droit de préférence, faisait une offre d'acquisition à l'administrateur de biens de la SCI NJF5757, des murs pour un montant de 950 000 euros, offre refusée par cette dernière.

Si M. F. prétend dans l'attestation précitée avoir contacté, suite à ce courrier, M. G. afin de réitérer son intérêt pour l'acquisition des locaux commerciaux, ce point n'est pas corroboré et il est établi au contraire par le projet de cession de fonds de commerce et la lettre du conseil de la société JENA'S FOOD en date du 22 février 2013, versés aux débats par les intimées, que la société DAPHNE était alors engagée dans des pourparlers depuis fin 2012 avec la société JENAS FOOD par l'intermédiaire de son gérant M. A. pour la vente de son fonds de commerce.

Surtout il résulte des pièces versées aux débats par les intimées que, postérieurement à la vente qui est intervenue le 31 octobre 2013 avec la société JYN COMPAGNIE, la société DAPHNE ne s'est pas prévalue pendant un peu plus de deux années du pacte de préférence alors qu'elle avait connaissance de ladite vente.

En effet, dès le 25 novembre 2013, la société WALTER WAINSTOCK IMMOBILIER ayant en charge la gestion immobilière des locaux commerciaux informait la société DAPHNE que la SCI NFJ5757 avait vendu 'le 31 octobre 2013 à la SCI JYN COMPAGNIE les biens dans lesquels vous êtes locataires' par courrier recommandé que la société DAPHNE ne conteste pas avoir reçu. Par conclusions du 30 décembre 2013, auxquelles était jointe une attestation de propriété, la société JYN COMPAGNIE est intervenue volontairement dans le cadre de la procédure en fixation du loyer alors pendante devant la cour d'appel de Paris en sa qualité de nouveau propriétaire ; à l'occasion de cette procédure, la qualité de nouveau propriétaire de la société JYN COMPAGNIE en vertu de la vente du 31 octobre 2013 a été d'ailleurs expressément rappelée dans l'arrêt de la cour d'appel de Paris en date du 14 mai 2014. La société DAPHNE était également informée de la qualité de propriétaire de la société JYN COMPAGNIE par le congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction qui lui a été signifiée par acte d'huissier du 6 juillet 2015 par la nouvelle propriétaire des locaux et bailleresse. La société DAPHNE réglait depuis novembre 2013 les loyers et charges à la société JYN COMPAGNIE, la cour relevant que si les quittances de loyer sont éditées par l'administrateur du bien, lesdites quittances mentionnent bien que le mandant et le propriétaire est la société JYN COMPAGNIE.

Compte tenu de la procédure judiciaire concernant le montant du loyer du bail renouvelé l'opposant à la société NFJ5757, ainsi que celles l'opposant au syndicat des copropriétaires pour des nuisances olfactives relatives à son activité et à l'occupation de caves, à laquelle la société NFJ 5757 n'était certes pas partie mais nécessairement informée en tant que copropriétaire responsable vis-à- vis de la copropriété de sa locataire, il n'est pas crédible que la société DAPHNE, qui se prévaut aujourd'hui du pacte de préférence

et de ce qu'elle croyait que la société JYN était une émanation du patrimoine de M. G., n'ait pas pris la précaution dans ces circonstances de solliciter l'extrait Kbis de la société JYN ou l'acte de propriété publié au service de la publicité foncière.

Au demeurant, il ressort d'un reportage de la chaîne 23 en date du 3 novembre 2014, dont un extrait est retranscrit par procès-verbal d'huissier du 5 janvier 2017, que la gérante de la société DAPHNE, Mme O., connue sous le prénom de Martine (ce qui n'est pas contesté) était tout à fait informée de ce que la société JYN COMPAGNIE n'était pas, comme elle le prétend, issue d'une restructuration du patrimoine familial de M. G., mais que M. Yom P. (dit Yomi) avait acheté les murs par l'intermédiaire de la société JYN COMPAGNIE, la cour rappelant que la gérante de la société DAPHNE connaissait ce dernier qui est l'un de ses concurrents. Pareillement dans son assignation introductive d'instance du 6 janvier 2016, la société DAPHNE a reconnu avoir été appris 'au début de l'année 2014" de M. A. qu'il avait acquis les locaux de la NJF 5757 en association avec M. Yom Tov P..

Enfin, la circonstance invoquée par la société DAPHNE qui prétend avoir perdu le courrier du 11 décembre 2012 n'est corroborée par aucun élément.

Or ce n'est que les 4 et 8 janvier 2016 que la société DAPHNÉ a assigné les sociétés NFJ 5757 et JYN COMPAGNIE devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins principales de voir prononcer la nullité de la vente du 31 octobre 2013, et substituer la société Daphné à la société Jyn Compagnie dans la vente du 31 octobre 2013, se prévalant pour la première fois de l'existence du pacte de préférence.

Elle n'a, avant cette assignation des 4 et 8 janvier 2016, formé aucune réserve quant à la qualité de propriétaire de la société JYN COMPAGNIE alors qu'elle a eu connaissance de la vente dans le mois qui l'a suivi ; qu'elle a effectué les paiements des loyers au nom du nouveau propriétaire dès le mois de novembre 2013 sans la moindre protestation, la procédure en restitution de loyers n'ayant été introduite que par assignation du 26 décembre 2018 ; qu'elle n'a pas contesté la qualité de nouveau propriétaire et bailleur de la société JYN COMPAGNIE lors de la procédure en appel de fixation du loyer du bail renouvelé alors que celle-ci était intervenue volontairement à l'instance d'appel ; qu'elle n'a pas exprimé la volonté d'invoquer le pacte de préférence à cette occasion.

L'ensemble de ces actes s'analyse en une renonciation tacite, certaine et non équivoque de la société DAPHNE à se prévaloir du pacte de préférence.

Par conséquent, ayant renoncé à se prévaloir du pacte de préférence, elle doit être déboutée de sa demande de voir prononcer la nullité de la vente intervenue le 31 octobre 2013 et de se voir substituer dans la vente ainsi que de ses demandes indemnitaires.

Le jugement qui a rejeté ses demandes est donc confirmé.

Référence: 

- Cour d'appel de Paris, Pôle 5, chambre 3, 4 novembre 2020, RG n° 18/24143